vendredi 1 avril 2016

Être une femme et OSER vouloir ! (1/2)

J'ai la chance d'exercer un métier tel que mon quotidien pro et mes réflexions perso se télescopent et s'enrichissent mutuellement, 
Nouvel exemple mercredi dernier, avec deux RDV successifs montrant deux facettes d'une même problématique, et que je traiterai en deux parties because le sujet m'inspire mais que je n'oserais vous infliger une trop longue tartine (du coup ça vient chambouler mon programme de publication bloguesque mais bon tant pis, vous ne perdrez rien pour attendre).

  • En fin de matinée, entretien avec une des nombreeeeeuses personnes impliquées dans le circuit décisionnel pouvant aboutir à la prolongation, à 50%, de mon CDD actuel. Basée en Suisse, cette personne voulait profiter de son déplacement pour me rencontrer et comprendre mes projets ainsi que l'intérêt de ce que je propose, et récolter les arguments susceptibles de convaincre "plus haut".
  • En tout début d'après-midi, RDV avec une des managers dont je m'occupe. 
    • Objet premier de ce RDV initialement sensé durer une demi-heure : traiter une question urgente concernant les augmentations salariales dans son équipe. 
    • Le sujet une fois traité, c'est finalement une bonne heure que nous avons passée à parler de ses souhaits d'évolution à elle, de sa volonté de changer de poste.


Vouloir: quelle entreprise difficile !


La découverte d'Isabelle Filliozat nous a beaucoup apporté, à Monsieur Bout et à moi. Aussi bien comme parents de nos enfants que comme enfants de nos parents, individus, conjoints, salariés...
Un point qui nous a beaucoup marqués est la manière dont elle lie le respect des émotions de l'enfant et le développement de la capacité de celui-ci à vouloir, c'est-à-dire aussi bien à identifier ce qu'il veut qu'à savoir puis oser l'exprimer. 
Muscler, chez nos enfants, la capacité à vouloir, à faire des choix, est un point auquel nous sommes ainsi devenus très attentifs.
En lisant Filliozat, nous avions par exemple immédiatement fait le lien avec notre toute première sortie au resto (sortez les violons! Moment snif! Nostalgie! Nous étions jeunes et beaux! ou pas...) et mon effarement quant au temps qu'il avait fallu à mon "petit copain" encore bien neuf pour choisir son menu... mais aussi ses moult hésitations sur de nombreux sujets, pas toujours aussi triviaux qu'un plat de resto.

Et cela nous a ainsi amenés à remettre en cause le fameux "on ne dit pas 'je veux', on dit 'j'aimerais' " qui avait pourtant été un leitmotiv dans nos éducations respectives.
Là encore, lire Isabelle Filliozat nous a permis de remettre cela en cause sereinement, en réalisant que cette phrase s'était tout simplement transmise de génération en génération à des époques où les ressources / connaissances en psychologie en général, et en psychologie de l'enfant en particulier, ne permettaient pas de percevoir les effets pernicieux d'une interdiction de vouloir....

Aujourd'hui, quand nous entendons F. dire "je veux", nous nous sourions d'un air béat entendu... ce qui ne signifie pas que nous lui donnons ce qu'il veut ou pense vouloir ! (ni que nous acceptons qu'il nous parle mal). Il s'agit là d'autoriser à vouloir, pas de permettre d'obtenir...


Être une femme, être une pro, et s'autoriser à vouloir : mission impossible ?


Cela fait un  bout de temps que mes propres expériences pro me font m'intéresser aux problématiques de plafond de verre et plus généralement aux évolutions de carrière des femmes dans le monde de l'entreprise (pour parler de ce que je connais - mais de nombreux mécanismes se retrouvent également dans d'autres environnements).

La conversation de mercredi, avec cette manager que j’apprécie énormément, a permis de passer en revue quelques unes des principales idées reçues qui bloquent l’évolution des femmes en entreprise.


Idée reçue n°1 
Pour être reconnue, perçue comme performante, il suffit de bien faire son travail.

Eh bien non. 
On dit couramment aujourd’hui que 3 éléments comptent dans la performance au niveau pro : 
  • le savoir
  • le savoir-faire
  • le savoir-être. 
Mais pour la perception de cette performance il faut impérativement rajouter un 4ème élément : le faire-savoir

Or pour beaucoup de personnes, et surtout les femmes, le faire-savoir constitue un sport non pratiqué, car perçu comme "bas". Elles ont l’impression
  • au mieux, de perdre du temps (= en voler à l'entreprise et/ou d'en voler à leur famille qui attend leur retour du taf)
  • mais surtout, de « se vanter » (oooh, une expression directement issue des cours de récréation / du monde de l’enfant, comme c’est bizarre que ce soit si ancré ensuite à l’âge adulte !!!) quand elles parlent de ce qu’elles ont accompli. 
Elles préfèrent passer du temps à faire, à être efficaces, qu’à parler de ce qu’elles font.  

Mais le bien le plus rare dans le monde du travail est le temps. Et partant, le temps pour observer ce que vous faites, comment vous le faites, etc. 
Il en résulte que si vous voulez que votre manager, ou celui dont vous aimeriez qu’il vous propose un poste dans son équipe, ou votre RH préféré, ou toute personne placée à un endroit tel qu’elle serait susceptible d’avoir son mot à dire dans l’attribution d’un poste pouvant vous intéresser, sache comme vous travaillez bien, vous ne pouvez pas partir du principe qu’ils auront vu comme vous travaillez bien. Ils ont d’autres chats à fouetter. 
C’est à vous de leur faire savoir ce que vous valez
  • en le leur disant, 
  • en venant raconter d’une phrase le chouette résultat obtenu, 
  • en parlant de ce gros projet sur lequel vous avez déjà joué un gros rôle (« je »,  pas de « on » !), 
  • en les mettant en copie d’un mail…


Idée reçue n°2 
Si je travaille bien, on pensera à moi si un poste pouvant me convenir est à pourvoir

Re-non. Cf plus haut, dans les entreprises on n'a pas forcément le temps de penser à vous... 
Donc quand il y a un poste à pourvoir, on fonctionne très souvent avec des œillères. Les noms évoqués sont ceux qui nous viennent comme ça, sur un coin de table. C’est une RH qui vous le dit. 
Oh bien sûr, selon les organisations, les moments, la maturité des managers et des RH, on fait parfois bien/mieux les choses. Mais là-dessus je répondrai la même chose que ce que je dis quand on me demande des conseils pour un entretien de recrutement : vous ne pouvez pas compter sur la compétence des gens pour repérer que vous êtes le/la meilleur(e), vous ne devez compter que sur vous et ce que vous dites.
 « ne jamais prendre les gens pour des cons, ne jamais oublier qu’ils le sont… » (c) Les Inconnus

Si donc vous voulez que votre nom vienne à l’esprit distrait des gens qui vont dresser la fameuse short-list, vous n’avez qu’une seule solution : le leur souffler / le leur avoir soufflé (ou plutôt : crié), avoir dit clairement que cela vous intéressait.


Idée reçue n°3 
Si je travaille bien, on viendra me chercher

Encore non !
Précisément parce que l'enthousiasme pour faire les choses est le moteur le plus efficace, dans l’appréciation de l’adéquation entre les gens et les postes, figure en bonne position la motivation : il est reconnu que l’envie d’occuper un poste est un élément essentiel à la réussite dans ce poste (et d’autant plus, mais j’y reviendrai plus bas, que ce poste nécessite d’apprendre des choses et que comme le détaille si bien le chouette article que je viens tout juste de lire et d’apprécier, pour apprendre, il faut avoir envie)


Alors vous allez me dire « mais voyons, c’est évident que j’en ai envie de ce poste ». Bah non. Rien n'est évident dans ce bas monde. 

Il existe environ 1001 raisons pour lesquelles vous pourriez ne pas avoir envie de ce nouveau poste. Quelques unes pêle-mêle : 
  • Plein de gens sont ravis tant qu’ils restent proches du terrain, et dépérissent une fois promus au niveau au-dessus (on parle souvent de principe de Peter et de seuil d’incompétence, mais il existe aussi le seuil de démotivation ! Quand on aime faire soi-même, on peut avoir du mal à se retrouver réduit à faire faire). 
  • Le niveau au-dessus peut impliquer une charge de travail accrue, des déplacements, des horaires rallongés. En particulier dans le cas d'une femme on aura facilement le réflexe protecteur de se dire « elle tient à préserver son équilibre pro/ perso et je le respecte », ce qui est une intention louable en soi mais se traduit quand même, à l’arrivée, par le fait qu’on décide de votre vie à votre place au lieu de vous mettre en position de faire vos propres choix.
  • Le niveau au-dessus peut impliquer une exposition accrue, des conflits, des trucs potentiellement un peu stressants et si vous n’avez pas manifesté que vous avez envie de vous confronter à ses emm-bêtements, comment devinerait-on qu’en fait vous y voyez autant de challenges motivants ? 
Faute de temps, on va au plus facile, or il est plus facile de penser à des gens dont on sait déjà qu’ils sont intéressés, que d’aller sonder autour de soi au risque de se prendre des râteaux à la « bah non ce n’est pas DU TOUT ce que je cherche ». En conséquence de quoi on pense et on va en priorité vers les gens qui ont levé le doigt. Toujours. Voilà, c'est dit.
D’autant que le fait qu’ils aient levé le doigt est invariablement (sauf organisation / chef vraiment pourri ou si cela fait juste 6 mois que vous avez pris votre poste, auquel cas on va plutôt y voir de l’impatience…) interprété de manière positive : prise d’initiative, prise en main de son destin, « elle en veut »,  (eh, vous avez remarqué ? subitement ça devient positif de vouloir….ooooh comme c’est bizarre. Et ce n’est pas fini !)

On n'est pas dans un bal de la bonne société où les filles restent sagement sur le bord, les yeux baissés, en train d'attendre qu'on veuille bien les inviter à danser. Niet ! 
L'époque où on vous disait "on ne réclame pas!" voire "puisque tu as réclamé, tu ne l'auras pas" est derrière vous. Ou en tous cas, il ne tient qu'à vous qu'elle le soit. RÉCLAMEZ, zut !!



Idée reçue n°4 
On viendra me chercher pour me proposer un chouette truc

Alors si, parfois, des chefs bien intentionnés (ou bien embêtés car ne sachant comment pourvoir un poste) vont venir vers vous et vous proposer quelque chose.
Le souci est alors que très souvent, la proposition ne correspondra pas à vos attentes. Comment le pourrait-elle quand vous n’avez jamais exprimé (clairement) lesdites attentes ? (voire que vous vous êtes autocensurée mais ça aussi j’y reviens plus bas). Ils auront projeté sur vous leurs propres attentes, déduit des choses à l’aide de 2-3 observations lacunaires et se seront surtout auto-persuadés que leur proposition vous convient.
Ne pas avoir anticipé en affichant clairement vos désirs (« je voudrais évoluer vers » , « je vise un poste de »), c’est comme, dans un couple, attendre de votre conjoint qu’il devine votre besoin plutôt que de le lui exprimer : une situation aussi fréquente que stérile.

Et cela vous expose, parce que vous êtes bonne fille, à accepter des choses qui au fond ne correspondent pas à vos souhaits. Mais "c'est tellement gentil d'avoir pensé à moi"...

Et pourtant, si vous êtes claire sur ce que vous voulez et ne voulez pas, la réaction est généralement positive : « elle sait ce qu’elle veut » (oh tiens donc, il est donc bien vu de vouloir, encore !). Pire, parfois, après vous avoir entendue, vos interlocuteurs vont revoir leur proposition et l'adapter à vos souhaits. Truc de ouf, j'vous dis!


Idée reçue n°5 
Si je demande un poste que je ne maîtrise pas déjà à au moins 90% (voire 120%), je me survends, ce n’est pas honnête

Celle-là est un grand, grand classique et constitue un des obstacles principaux à la progression des femmes : elle correspond à l’autocensure dont je vous parlais déjà quelques paragraphes plus haut. 
Je parle en règle générale, bien sûr il y a toujours des exceptions : la grande différence entre un homme et une femme, c’est que si on leur propose un poste pour lequel il ont 70% des compétences, et donc 30% encore à acquérir, 
  • l’homme va dire « banco », en se disant qu’il sera capable d’apprendre ensuite. 
  • La femme va dire « oh merci, mais je dois encore développer ça, ça et ça, donc pour cette fois non mais revenez me proposer ce poste dans 2 ans et là j’en serai capable » (+ moult remerciements, je suis touchée, je suis flattée, vraiment merci, merci merci). 
J’en ai vu des dizaines d’exemples, le tout dernier remonte à tout juste quelques semaines. 

C’est du reste l'une des raisons pour lesquelles les grandes boîtes, dont la mienne, développent les initiatives du style « réseaux de femmes » : pour que celles qui sont déjà passées par là puissent encourager leurs cadettes à oser et à foncer. C’est donc ce que j’ai proposé au manager de mon épisode d'il y a quelques semaines, et qui était bien embêté par ce refus puisque cela l'empêchait de positionner sur le poste la personne la plus qualifiée à ces yeux:  mettre sa pouliche en contact avec une femme plus haut placée qui saurait lui parler et lui donner confiance dans ses capacités à faire suffisamment bien le job.

Et au fond, vous savez, quand on parle d’être une mère « suffisamment bonne », c’est pareil : est-ce qu’on attend d’être un bon parent pour faire un gosse ? Non, on se lance et on apprend tous les jours. Ce n’est pas parfait, mais ça tient la route. Ben là c’est pareil, et encore, regardons les choses en face : dans la vie pro l’enjeu est, tout bien pesé, bien moindre!

Comme je le disais mercredi à ma petite manager, quand on « se vend » en entretien, on vend non seulement ce qu’on sait faire / a déjà fait, mais aussi tout ce qu’on est capable d’apprendre à faire. On vend ce qu’on est mais aussi et surtout ce qu’on est capable de devenir.
On ne devient malhonnête qu’à partir du moment où on vend quelque chose qu’on n’est pas capable de devenir… Et comme la volonté joue une rôle important dans notre capacité à apprendre donc à devenir, si on veut vraiment ce qu’on demande, il y a de fortes chances qu’on se montre ensuite capable de le gérer.


Idée reçue n°6 
Si j'arrête d'être une petite fille sage, je serai forcément comme les hommes que j'observe autour de moi: un gros con écrasant tout le monde

Figurez-vous que là je cite mot pour mot ma petite manager (et quand je dis petit… la manager en question a quand même fêté ses 40 ans récemment, on n’en est plus à la timidité / réserve de la jeunesse)

Alors oui, on a souvent attiré l’attention de la petite fille sage sur l’atrocité des autres comportements, pour mieux lui faire comprendre l’importance de rester sage, serviable et disponible (et souriante ; et douce ; et « j’aimerais s’il vous plaît si ce n’est pas trop vous déranger quand vous aurez le temps mais vraiment ce n’est pas grave merci »). On a ainsi diabolisé le fait de vouloir, le fait de demander, et du coup, rendu sa perception sélective : la petite fille ne repère désormais que la manière de s’imposer et d’écraser des membres de son entourage.

Elle ne voit pas qu’il y a une 3ème voie : celle qui consiste à
  • identifier ses besoins et ses envies, 
  • être lucide sur ses forces et ses faiblesses, 
  • et communiquer un projet solide et argumenté autour de soi, dont son entourage saura facilement se souvenir et s’emparer en temps utile. 
Habituée à ne pas oser vouloir...
  • elle peine déjà à identifier ce qu’elle veut, 
  • elle peine à oser l’exprimer (ou alors c'est quand elle n'en peut plus, et ça finit en éclats de voix ou en larmes ce qui n'est pas propice à la crédibilité du message), 
  • elle peine à aborder elle-même le sujet sans attendre qu’on lui ait posé la question… 
  • Elle peine à se croire capable de ce qu’elle veut, 
  • et elle peine à se croire capable de l’obtenir 
  • puisqu’elle peine à mettre en valeur ses atouts personnels pour convaincre son auditoire (« j’ai l’impression de ne savoir rien faire »…)


Je viens d'évoquer ces idées reçues du point de vue d'une femme qui souhaiterait un poste plus intéressant, sous-entendu : avec davantage de responsabilités.
Mais tout ceci s'applique également à d'autres types de postes "plus intéressants": et notamment ceux qui vous intéresseront car correspondant davantage à vos souhaits d'équilibre vie pro / vie familiale... Au hasard, un poste similaire à celui que vous occupez, mais à 50%, par exemple... hum ? Ca vous dit quelque chose ?
Ce sera l'objet de la seconde partie de ce billet - soon to come ! - here


4 commentaires:

  1. as-tu lu dans le dernier Zélie l'article à ce sujet ?
    "Comment réveiller l’audace qui sommeille en nous ?"

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    1. Eh bien... ton commentaire me fait découvrir "Zélie", ça a l'air chouette dis donc ! en revanche j'ai feuilleté les numéros de mars et de février sans trouver l'article auquel tu fais référence...?

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    2. On est en avril :-D
      et oui, c'est très chouette (t'as vu, j'ai même été interviewée en mars ;-) )

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    3. ha ha, je m'étais demandée si cette clotilde maman de 3 enfants... ;-) tu connais les initiateurs du projet ? Je le trouve vraiment réussi, j'aime beaucoup ce que je lis
      et effectivement, l'article sur l'audace pro est hyper proche de ce que j'ai écrit cette fois et d'autres plus anciennes, c'est vraiment marrant ! ( donc forcément c'est un EXCELLENT article hihihi)

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