jeudi 16 mars 2017

Travailler pour...? - Avoir un cadre

(me revoici pour un nouvel épisode de la série "Travailler pour.." par le biais de laquelle je cherche à explorer les différents apports d'une vie professionnelle à prendre en considération dans la recherche d'un bon équilibre vie pro / vie familiale, y compris et surtout si on réfléchit à s'éloigner quelque temps, voire davantage, du monde du travail. 
J'ai eu tant à faire, tant à écrire, que cet épisode est resté longtemps sur le feu, ce qui m'a bien frustrée car cette série est chère à mon cœur - et à mon cerveau. Mais le voici ! Les précédents sont regroupés ici, et je précise que j'en ai encore au moins deux en gestation).

Parmi les bénéfices collatéraux du travail auxquels on ne pense pas toujours (... en tous cas jusqu'au jour où l'absence d'activité professionnelle nous y confronte plus ou moins brutalement) figure en bonne place le cadre qu'une activité professionnelle donne à nos journées.
En effet, une vie professionnelle introduit dans nos journées un rythme, une structure, une prévisibilité.

C'est l'envers positif de la sujétion si souvent récriée :
  • oui, le travail, étymologie tripalium, instrument de torture et patati et patata, nous astreint à une discipline, nous oblige à faire autre chose que ce que nous aurions fait, nous empêche ainsi de gambader librement dans les bois en tressant des couronnes de fleurs, représente une contrainte, etc, c'est un scandale... 
  • mais être obligée de faire (quelque) autre chose, devoir se plier à un rythme, c'est parfois bien confortable !

En effet, je l'écrivais il y a déjà quelque temps, la routine a quelque chose de reposant, de rassurant, l'être humain est un être d'habitudes. 
Or la vie professionnelle en est justement toute cousue, de routines et d'habitudes. Il y a
  • la succession des jours de la semaine, la distinction entre semaine de travail et weekend, par exemple, 
  • la routine quotidienne entre temps passé à la maison et temps passé au boulot, 
  • et la routine de la journée de travail elle-même, avec ses RDV, ses réunions, ses coups de fil, ses clients qui rentrent et fournisseurs qui passent, ses pauses cafés... 
Autant de repères structurants qui "tiennent tout seuls", donc pour lesquels nous n'avons pas à porter de responsabilité.

Au contraire, dans la vie d'une maman au foyer, la structure de la journée n'est pas toujours aisée à établir ou maintenir : toute maman d'un jeune bébé par exemple, rigolera (un peu jaune) si on lui parle "prévisibilité", en particulier si elle est partisane de l'allaitement à la demande ! Et puis, il est bien connu que c'est quand on a prévu une sortie au parc qu'il pleut, ou quand on est prêt pour cette sortie que bébé fait une fuite de selles monumentale ravageant tout sur son passage, ou l'aîné une colère tout aussi monstrueuse...
En proie à une multitudes d'injonctions simultanées (tenir la maison - mais gardez-vous à droite - la SDB est à faire peur, gardez-vous à gauche - la cuisine a l'air d'un champ de bataille, passer du temps avec l'aîné, gérer les frustrations du deuxième, calmer les pleurs du dernier,...), nombreuses sont les mères au foyer à souffrir de ce sentiment de courir partout, d'être en permanence sur le qui-vive, à réagir et non agir, sans arriver au bout de rien.

Se lever et avoir toooute la journée devant soi, ce peut être la source d'un grand sentiment de liberté... ou d'une angoisse sans nom !
Qui sait quel drame ces heures encore vierges vont pouvoir héberger...
et : comment s'assurer de ne pas "perdre" sa journée ?

La responsabilité de cette journée ne repose que sur soi, sur sa propre capacité à s'organiser, anticiper, planifier ... et retomber sur ses pattes après chacun des moult imprévus qui jalonneront la journée. Être une maman au foyer un minimum bien dans ses baskets, cela nécessite déjà une dose d'autodiscipline que l'on n'a pas forcément (encore développée).


En ce qui me concerne, d'ailleurs, mon premier congé parental (les 3 mois pris après le congé maternité de F.) était riche en projets (j'avais notamment prévu d'apprendre à me servir de ma machine à coudre. Comme vous pouvez vous en douter à la lecture de ce billet, la réalisation de ce projet a du foirer quelque part); mais je n'ai pas fait grand chose, à l'arrivée !
  • J'ai davantage cuisiné, j'ai réussi à voir quelques copines, et je me souviens avec délices d'une cueillette de mûres avec l'une d'elles, par une journée d’octobre ensoleillée, à tout juste quelques centaines de mètres de mon lieu de travail habituel..., mais ce fut tout !
  • L'administratif était toujours une catastrophe,  la maison n'était pas mieux tenue (alors que je faisais toujours beaucoup appel à ma femme de ménage....)
  • Ah, si, le linge était mieux géré... fonctionnant en couches lavables, j'étais obligée d'être rigoureuse pour ne pas me retrouver en rade, et donc j'avais renoué une relation étroite avec mon lave-linge. Eh mais dites-moi donc, n'était-ce pas tout simplement une ébauche de routine qui produisait du résultat ? Hasard ?
  • J'ai passé du temps avec mon bébé, OK. Mais honnêtement, F. était un bébé assez sympa et aux horaires assez réguliers en plus de ça, donc je ne peux pas prétendre que c'était le temps passé à soulager ses pleurs qui m’empêchait de m'investir dans autre chose.

En revanche, je me souviens parfaitement de ma première soirée post-retour au boulot : je me suis retrouvée à jouer sur le tapis avec lui, toute à lui, et j'ai réalisé que cela ne m'était pas forcément souvent arrivé les mois précédents : toujours disponible pour bébé "en théorie", on ne se rend pas forcément disponible, dans les faits : que ce soit physiquement (je faisais souvent quelque chose à côté), ou mentalement : je pensais souvent à autre chose...


L'effet discipline du boulot se voit en effet sur deux niveaux :
  • d'un côté, le boulot nous aide à nous discipliner durant le temps que nous y passons, il structure nos journées de travail
    • là encore, évidemment, l'apport d'une vie pro en termes de cadre dépendra énormément du type d'activité pro et d'environnement : plus le degré d'autonomie est élevé, plus la responsabilité de s'organiser repose alors sur nos épaules ; le summum étant atteint avec un statut d'auto-entrepreneur travaillant de chez soi ;-)
  • mais il structure aussi notre temps hors travail : celui-ci étant plus restreint, et la manière dont nous l'utilisons devant nous permettre de retourner au boulot, en plus, cette perspective d'une journée de travail à affronter le lendemain contribue à structurer la soirée, par exemple. 
Une copine me confiait ainsi :
"quand je bosse, une fois à la maison, je me bouge, je cuisine plus, je me montre plus disponible pour mon mari, mes enfants. Alors que sinon, je procrastine les trucs les plus chiants, je ne fais rien d'intéressant puisque je prévois de me mettre d'abord aux trucs chiants, et à la fin de la journée je n'ai rien comme bilan que mon immense culpabilité, et la conscience d'un gros gâchis".
Plus "bêtement", aussi, parmi les impératifs de travail qui nous aident à éviter ou limiter la procrastination, on trouvera la nécessité de porter des vêtements présentables : il est plus difficile de remettre sans cesse à plus tard le lancement d'une lessive ou la corvée de repassage, quand on sait devoir se présenter devant des regards un peu plus intimidants que ceux, indifférents aux tâches (qu'ils auront eux-mêmes provoquées...) de nos enfants ou celui, distrait, de la boulangère.



Travailler, ça peut donc permettre de donner du corps au vide, de ne pas se retrouver face à une liberté très angoissante du fait de la responsabilité qu'elle fait peser sur nos épaules : une activité professionnelle peut ainsi avoir un aspect reposant, du fait que les contraintes du travail permettent de diminuer l'effort de discipline, de le partager, en quelque sorte.
Ordonner le temps demande en effet de l'énergie !

Quoi qu'il en soit, ce cadre, il est cependant, bien entendu, possible de se le construire soi-même chez soi.
Possible, mais pas évident... et puis cela s'apprend ! Petit à petit, souvent.
Personnellement, autant ma première période à la maison aura ainsi été plutôt chaotique, autant les suivantes (fin de grossesse et congé mat d'E. ; mon chômage actuel) offrent un visage fort différent.

Parmi les points qui peuvent aider

  • repérer et éliminer / atténuer les facteurs qui contribuent à la déstabilisation.
Internet est bien évidemment un coupable idéal et fréquent !
Ainsi, en ce qui me concerne, dès mon premier congé parental, j'avais tout de même fini par (accepter de) reconnaître que les journées où j'allumais l'ordinateur dès le matin étaient plus chaotiques et "vides" que les autres. Autant que possible, par la suite, je me suis efforcée de restreindre mes envies d'aller "vite voir mes mails", qui se traduisaient par une Gwen encore en pyjama à 11h du matin.
J'avais notamment fait quelques efforts allant dans le sens d'une meilleure anticipation : de quel renseignement INDISPENSABLE pourrais-je avoir besoin dès le lendemain matin (coordonnées pour prendre un RDV ou envoyer un courrier) ? Cette information étant bien entendu susceptible de se muer en un prétexte parfait pour une dérogation à la règle / allumage matinal de l'ordinateur, j'avais donc essayé, en prévention, d’anticiper cela en allant la chercher et noter la veille au soir.

Autre exemple personnel : une fois à la maison après notre déménagement à Strasbourg il y eut un temps où je faisais déjeuner le Bébou, le couchais pour la sieste, puis déjeunais moi-même. Puis je m'aperçus qu'il valait mieux que je déjeune plus tôt, même de manière moins calme, qu'ainsi en décalé, et ce pour deux raisons : je perdais du temps ainsi, et surtout cette attente du repas me fatiguait tellement qu'ensuite je n'étais plus bonne à grand chose durant le créneau de sieste qui restait.

  • établir un cadre de manière économique
de manière économique ? Il s'agit d'économiser notre énergie. En effet, un des aspects rendant un cadre compliqué à construire et établir, c'est l'énergie que cela demande.
C'est là où Flylady est venu m'apprendre la force d'un cadre basé sur la routine, et à quel point un tel cadre peut être reposant. J'ai déjà évoqué le côté libérateur de la routine, et j'en fais l'expérience en ce moment de nouveau : le cadre donné par des routines permet de baliser les journées et d'assurer que celles-ci soient rentables, sans devoir fournir de gros effort d'organisation pour cela. De la même manière qu'on suit le rythme de l'entreprise au travail, on suit un programme établi sans se creuser les méninges.
Certaines construiront leurs propres routines toutes seules, mais pour d'autres, justement moins avancées niveau discipline / organisation, se fixer soi-même ses propres règles, s'inventer soi-même une routine, est déjà hors de portée.
C'est mon cas !
Cela ne condamne pas nécessairement au chaos ou au travail ;-), mais oblige à trouver des substituts / béquilles. Ainsi j'ai eu besoin des Babysteps de Flylady pour constituer une première base, me fournir un programme "imposé" de l'extérieur. Je remarque d'ailleurs avec intérêt (et un brin de fierté, aussi!) que, si j'ai eu besoin de Flylady pour m'aider à donner une ossature à mes journées, j'ai à présent progressé suffisamment pour enrichir cette ossature par des points qui me sont plus personnels.  (mais je l'ai déjà promis, et je finirai par tenir parole : je sortirai un billet sur la manière dont je vole en ce moment, bientôt !).

L'établissement de routines, que celui-ci se fasse de manière autonome, ou d'une manière aidée (suivre Flylady, reprendre le planning d'une copine ou celui trouvé dans un bouquin ou sur un blog consacré à l'organisation), permet ainsi de donner un cadre favorable à la prise en charge des tâches... de routine, justement.

  • Gérer l'inhabituel sans dérailler
Pour les tâches plus exceptionnelles, on aura souvent recours à la To-do list. Celle-ci peut cependant vite devenir tentaculaire et d'autant plus angoissante, c'est pourquoi en ce qui me concerne je considère le Bullet Journal comme l'ami idéal de la femme au foyer : me poser la veille au soir et me fixer mes objectifs pour la journée, actualiser ceux-ci en cours de journée, avoir sous la main, toujours, un seul guide auquel me référer quand je suis sur le point de perdre le fil / me laisser gentiment entraîner vers autre chose...


En conclusion, en l'absence d'une vie pro et de la structure naturelle qu'elle donne à notre temps, oui, il est vraiment possible de s'améliorer niveau autodiscipline, et qu'il existe un tas d'outils pour.
Cependant, là encore, deux facteurs essentiels joueront : le temps (on peut ne pas encore être mûr pour cela), et la motivation !
Je le vois en ce moment : c'est parce que être à la maison m'intéresse, en ce moment, parce que je trouve beaucoup d'épanouissement à faire ce que j'y fais, que je suis motivée pour utiliser à plein les outils nécessaires pour que cela se passe bien ! Motivée, donc capable de mobiliser l'énergie nécessaire.
Car s'organiser, c'est (pour moi) au départ quelque chose de rébarbatif, donc si je devais m'atteler à quelque chose de rébarbatif (mon organisation) pour gérer des choses tout aussi rébarbatives (plus de temps avec mes enfants que ce que je suis capable de donner, une IEF pas vraiment choisie, des tâches ménagères faites à contre-cœur,...)... la dynamique serait bien différente, les résultats, aussi.


Il y a quelques années, me passer d'une activité pro de manière prolongée aurait vraiment été dangereux à cet égard : j'étais foncièrement incapable de mettre en place un substitut valable au cadre que mon boulot m'offrait, et j'aurais sombré dans le chaos le plus total.
C'est là encore un point qui vient renforcer ma conviction que la notion d'équilibre vie pro / vie perso varie dans le temps, et que donc, il vaut mieux ne pas trop me casser la tête sur des plans à 10 ans, car je n'ai aucun moyen de savoir quels seront mes besoins et mes capacités une fois ces dix années écoulées.


10 commentaires:

  1. C'est amusant, j'ai toujours eu (spontanément) ce sentiment qu'un cadre était nécessaire ... je faisais des plannings de lessive même en coloc ;-) (bon, ce n'était pas tjs adéquat ou bien appliqué, mais au moins, c'était un début).

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    1. et je confirme que l'ordi est un gros frein à une journée dynamisée...!

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    2. Haha !
      Remarque, en coloc moi aussi (**aaaaaaaaaa* !), j'étais meme à l'origine de notre planning de ménage ! (qui mérite la meme parenthèse que ton planning de lessive de colocs lol)
      Ce qui me permet de réaliser que poser un cadre AUX AUTRES, avec moi inclus dedans, oui.
      Mais en fait c'est m'en poser un à moi toute seule qui posait problème...

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  2. Encore une fois, j'aime bien ton article, je m'y retrouve complètement ! Combien de fois me suis-je conçu un planning sur 2 semaines, pour me rendre compte que je ne le suivais pas du tout ?? Par où on commence quand on a la journée devant soi ??
    Le fait que le cadre du travail soit rassurant, c'est une chose dont on se rend encore plus compte quand on arrive dans un lieu inconnu : avec l'expat, celui qui bosse a tout de suite une routine, des obligations, il n'a pas besoin de se poser trop de questions sur le chemin à suivre. Celui qui accompagne a l'embarras du choix quant à savoir par quoi il doit commencer pour aider la famille à atterrir, c'est beaucoup plus compliqué !!

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    1. Ah oui tout à fait, tiens, c'est vrai ça ! ce souci du cadre doit être encore plus fort dans un contexte d'expatrié, où tu perds tous tes cadres autres / tes repères
      Même ta routine de courses est morte, ce ne sont plus les mêmes enseignes...

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  3. Je ne suis pas maman mais en ce moment je ne travaille que très peu (en fin de journée) et je vis complètement ce côté "du temps libre super !) qui se transforme en perte de repères parfois...

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    1. Ah oui tiens ce que tu me dis me renvoie à mon expérience d'étudiante...Je n'avais pas fait le lien!
      Et en effet j'imagine que ce genre d'horaires un peu atypiques me vite aboutir à une impression de déphasement. Surtout que du coup, je vois bien comment un sursaut d'énergie peut se produire... à un quart d'heure du moment où il va falloir décoller pour le boulot :D

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  4. En congé parental, je le vis ! Je sais qu'un cadre, une routine nous rassurerait tous. Pour autant, je n'arrive pas à appliquer une quelconque ébauche (et je te laisse deviner mes journées désastreuses, de ce fait). En vérité, j'ai toujours détesté suivre une routine. Cela ne me posait pas de réels problèmes puisque je travaillais. Mais là... Du coup, j'ai plus l'impression de couler que d'avoir ce sentiment de satisfaction d'avoir accompli des choses. Mais c'est difficile. Mes journées restent très imprévisibles avec mon bébé de 5 mois (allaitement à la demande, siestes selon son rythme) et le grand de 3 ans qui est aussi toute la journée avec moi. Il y a beaucoup d'imprévus !

    Gwladys

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