Aujourd'hui, je prends enfin le temps de répondre à une question "courrier des lecteurs" qui date d'avant les vacances mais qui nécessitait une bonne dose de réflexion / structuration de la réflexion pour en arriver à une réponse qui se tienne.
Je doute parfois (ou des personnes me font douter) de mon éducation "bienveillante" / positive / etc. et me demande si je ne vire pas au laxisme? Je sais que la frontière peut être floue par moment. En gros, je me dis que j'adapte l'environnement au maximum pour réduire les occasions de "bêtises" de la part de l'enfant et donc de se fâcher de la part des adultes, et je dis aussi souvent que "je choisis mes batailles" et que "je laisse faire tant que ce n'est ni dangereux ni irrespectueux (envers les gens ou les animaux ou les objets) ni a l'encontre des mes propres besoins". Mais du coup, cela signifie en pratique que je laisse faire beaucoup beaucoup de choses... Et je me demande si au final ce n'est pas plutôt de la flemme? et que du coup je ne fais plus trop mon devoir d’éducation?
Je pense aussi que beaucoup de choses vont venir naturellement avec l'âge. Un exemple très représentatif est le fait de devoir rester assis a table pendant le repas. Personnellement, ma fille a 2,5 ans et je ne l'oblige pas du tout a rester assise a table pendant toute la durée du repas. Je pense qu'a cet âge, le besoin de bouger est énorme, et je la laisse donc se lever, aller chercher quelque chose et revenir (ce que, soit-dit en passant, on laisserait faire a n'importe quel adulte sans problème), ou carrément aller jouer quelques minutes et revenir croquer dans sa tartine pour repartir aussitôt. Je sais que ca peut vraiment choquer des personnes ne voyant pas les choses de la même manière que moi. Mais je pense sincèrement que plus tard, ma fille se rendra bien compte qu'en société les gens ne font pas cela et je suis sure qu'elle sera capable de rester assise a table comme tout le monde. Voilà, ça c'est un exemple parmi d'autres :D
Et j'aimerais donc avoir ton avis sur ce point, si tu en as un bien sur (mais je suis assez sure que oui hihihi) et comment tu gères en pratique.
Ouh que c'est difficile
Des remarques, on s'en prend à la volée (franchement, les gens devraient devoir nous donner 1 € pour pouvoir nous faire une remarque sur notre éducation; au moins ça remplirait les caisses.)
Et dans le lot, il est parfois difficile de faire la part des choses entre ce qui est justifié (et peut donc légitimement amener le parent consciencieux que nous sommes à se remettre en cause) et ce qui relève tout simplement d'une conception très différente voire irréaliste de ce qu'est un enfant.
La conception peut être très différente
en mode bien traditionnel "un enfant est fait pour être vu et non entendu" (QUI saura trouver de quel graaand classique de la littérature jeunesse cette citation est tirée ? ;-), un enfant ça doit obéir au doigt et à l’œil, un enfant ça doit faire les choses proprement ou ne pas les faire du tout, etc
et / ou irréaliste dans le sens que j'ai réalisé à quel point on peut oublier ce qu'on a soi-même vécu ! Quand on parle de notre propre enfance avec nos parents, on ne peut que constater que leurs souvenirs sont souvent assez déformés, et donc leur conception de ce qu'on peut attendre d'un enfant un peu tordue, parce que influencée par des souvenirs complètement idéalisés de leur propre vécu de parent / expérience avec leurs enfants.
Cette capacité à oublier peut, en soi, constituer une bonne nouvelle : on dit souvent qu'on oublie les "joies" de l'accouchement, eh bien, parents désespérés, sachez qu'un jour vous aurez oublié les moments difficiles que vous passez avec vos enfants. Effacés, rayés de la mémoire ! Vous aurez probablement surtout gardé les beaux moments, et si les moments un peu noirs demeurent, ils seront floutés par le temps. Seul souci, vous deviendrez très relou avec la génération suivante puisque vous leur soutiendrez mordicus, et avec une bonne foi parfaite, que chez vous "Nan, c'était pas du tout pareil", JAMAIS vos enfants n'ont causé de telles difficultés. Ha. Ha. Ha.
A titre d'exemple, j'ai déjà entendu dire de mes enfants qu'ils étaient mal élevés car
ils mettaient les doigts sur les vitres (à 2 et 4 ans)
ils ne finissaient pas sagement leur assiette (taille adulte) sans bouger pendant un repas de 3h au restaurant
ils faisaient de grosses colères (OUI ! OUI ! Raccrochez-vous à ça la prochaine fois que vous aurez une colère monumentale à gérer !!! Dites-vous que dans 30 ans vous serez abasourdis des colères de jeunes enfants dont vous serez témoin, et que vous aurez totalement oublié l'intensité de celle à laquelle vous êtes en train d'assister bien malgré vous ! C'est chouette non ? Si, si, allez, ça console un peu quand même)
ils oubliaient régulièrement de dire merci / s'il te plaît
ils ne font pas systématiquement de bisous ni ne s'en laissent faire pour dire bonjour / au revoir.
Bref, ça, c'est un premier point, effectivement, et très très important : notre entourage a beau être persuadé du contraire, et ne pas se priver pour nous le faire savoir fréquemment, NON, il n'est pas qualifié pour évaluer:
le comportement de notre enfant
notre style d'éducation
et le rapport bien entendu direct entre l'un et l'autre (pfffrtttt. Car bien entendu, le comportement d'un enfant est toujours directement et uniquement causé par le style d'éducation de ses parents; ça se SAURAIT si d'autres facteurs pouvaient l'influencer, voyons !)
le tout, bien entendu, sur la base d'observations ponctuelles. (Mais cela fait un bout de temps que je prévois un billet de blog sur le sujet de "la mauvaise mère", et qui reprendra ces réflexions. Donc je m'arrête)
Faut-il pour autant refuser en bloc toute critique, et estimer que l'on n'a rien à changer à son mode d'éducation face au genre de critiques que tu as reçues / sombres prévisions qui les accompagnent ?
Hum. Ce serait trop simple.
Et c'est le gros souci de ta question, c'est qu'elle est excellente, parce que justement, la réponse est très très loin d'être simple. Mais demande au contraire de prendre en compte un sacré nombre de nuances.
1. Comme tu le dis si bien, la différence d'éducation peut notamment être liée au souci de prendre en compte les capacités de l'enfant, et aux informations plus ou moins actualisées que l'on peut avoir sur le sujet.
Notre rôle d'éducateur / la manière dont notre responsabilité doit s'exprimer dépend donc beaucoup du timing, par rapport au plan de développement de
l'enfant :
faire ranger un enfant de 6 mois qui pour le moment, en est
au stade où il cherche à agripper les objets, point ? Inutile ...
Quand
il en arrive au stade où il vide toutes les boîtes : on lui montre qu'on
les reremplit.
Et dès qu'il commence à lui-même s'amuser à remplir des
boîtes (pour les revider derrière), on l'encourage : on fait avec lui, et
on aménage l 'activité pour que, autant que possible, l'activité se
termine par l'étape "remplir" et non par une étape "vider", on attire
son attention sur l'intérêt du résultat "oh, tout est dans la boîte,
c'est rangé, il y a plein de place sur le sol maintenant, c'est
agréable".
Et, comme tu le soulignes, c'est là où l'aménagement de l’environnement joue son rôle, et plusieurs rôles
limiter le risque que l'enfant fasse des choses qu'il ne doit pas faire
mais qu'il ne peut absolument pas contrôler. Un enfant de 12 mois VEUT
toucher au cheval en cristal, et n'est PAS CAPABLE de se restreindre.
Hors de vue, le cheval en cristal!
limiter le nombre
d'interventions nécessaires pour l'adulte : jouer notre rôle de
transmetteur, c'est fatigant, on ne peut pas être partout
faciliter l'apprentissage de l'enfant en présentant un niveau de
difficulté moindre.
Car c'est là un point fondamental :
2. il y a une différence entre prendre en compte les capacités, les besoins et le développement de l'enfant, et laisser passer totalement au motif qu'il n'est pas capable.
La différence se fera alors non pas au niveau de l'objectif final, mais des
moyens pris, à la fois pour encourager le respect de la règle, et pour
réagir quand celle-ci n'est pas respectée. Comprendre pourquoi elle
n'est pas respectée ne signifie pas nécessairement laisser ce non
respect se produire sans réagir.
Je crois que là dessus, le cas de l'enfant-qui-tape est très parlant. Toutes les mères d'enfant-qui-tape, vous savez, ce charmant bambin de 2 ans qui va avancer vers le bambin d'à côté et lui en coller une en pleine figure, savoooourent ces moments...
Se renseigner un peu sur le développement de l'enfant permet de relativiser l'importance de ces tapes : elles sont la plupart du temps,
- soit l'expression (très maladroite, hélas) d'une volonté de rentrer en contact,
- soit l'expression d'une frustration qui ne sait pas encore s'exprimer par les mots.
Bref, oui, l'enfant-qui-tape le fait parce qu'il n'a pas encore la capacité de faire autrement.
Du coup,
- on ne va pas criminaliser ce geste en en faisant le signe d'une méchanceté sans nom qui mérite un châtiment terrible sous peine de terminer en prison d'ici 15 ans au plus (et on va donc s'abstenir de prêter l'oreille à tous les commentaires alarmistes qui iront dans ce sens).
- Mais on ne va pas pour autant laisser faire : on va protéger les éventuelles victimes, et, surtout, prendre le temps de reprendre la jeune "terreur" en lui enseignant, sans relâche, d'autres manières d'exprimer ce qui pour le moment, sort par le biais de tapes :
"si tu veux jouer avec lui, tu peux caresser son bras / lui proposer un jouet"
"quand tu es en colère, tu peux dire "colère !" / "je suis en colère" / secouer fort la tête"
Notons que notre intervention sera peut-être encore jugée comme du laisser-faire, du laxisme, car elle ne correspondra pas à la lecture que se fera l'observateur de la situation ("enfant violent, récidiviste, qui devrait recevoir une bonne fessée / mise au coin / gueulante - ne rayez aucune mention elles sont toutes utiles). On s'en fiche (au moins en théorie parce qu'en pratique, il est vraaaiment dur de s'en ficher)
Ce qui nous amène au point suivant :
3. un autre facteur qui vient allègrement flouter la frontière entre éducation et laxisme, c'est la nécessité d'un moment de transition, plus ou moins longue : la fameuse période d'apprentissage, le besoin d'enseignement (dont parle
Jane Nelsen).
Hélas, 3 fois hélas, ce n'est pas parce qu'on a réagi une fois "de la bonne manière" face au comportement d'un enfant, qu'on lui a donné les explications nécessaires, que c'est gagné, pouf, il va agir conformément à cet enseignement.
Je prendrai l'exemple de la politesse, là-dessus. Monsieur Bout et
moi-même estimons important que nos Bébous disent s'il te plaît, merci,
bonjour et au revoir : des codes sociaux importants, parce qu'ils
véhiculent des valeurs importantes. Gratitude dans le merci mais aussi
dans le s''il te plaît (tout ne m'est pas dû), respect dans le bonjour
et au revoir (je te reconnais comme personne, je remarque ta présence).
Mais justement, c'est un apprentissage, nous faisons donc attention
à notre réaction quand elle n'est
pas respectée : nous savons que ce n'est pas encore acquis, que nos
enfants sont encore petits, nous ne réagissons donc pas comme si un
merci / s'il te plaît oublié représentait un affront personnel / un scandale :
nous nous contentons de "réclamer" notre merci
aux
moyens : comme le dit si bien Haïm Ginott dans
Parents Épanouis, Enfants Épanouis, nous faisons attention à "
civiliser nos enfants de
manière civilisée" : pour réclamer notre merci, pas de menaces, pas d'humiliation, mais des phrases
responsabilisantes, invitant au développement de l'empathie et de la
compréhension de la valeur de ses mots
"j'aimerais une jolie demande" ;
"je t'ai donné quelque chose"
4. Ce besoin d'apprentissage, et ce besoin de temps pour apprendre, implique encore une autre question : est-ce le bon moment pour cet apprentissage ?
est-il prêt, est-ce réaliste de penser qu'il peut progresser là dessus ? Encore un point sur lequel notre appréciation sera très individuelle, et pourra susciter de l'incompréhension / du jugement ailleurs : s'informer sur les stades de développement de l'enfant a du bon, mais ne pas oublier que chaque enfant a son propre rythme, aussi…
"
à 2 ans un enfant DEVRAIT pouvoir...". UN enfant peut-être, mais le nôtre ? La discussion avec autrui peut nous permettre d'affiner notre regard (par exemple discuter avec
Clotilde de la manière dont ses filles géraient très tot leurs douches seules m'a incitée à apprendre aux Bébous à faire de même bien plus tôt que ce que j'aurais pensé possible), mais en même temps on ne doit pas perdre de vue que chaque enfant est différent.
Par exemple, si je n'étais mère que de E., je serais peut-être persuadée qu'un enfant de 3 ans "normal" doit pouvoir passer 2H sur les genoux de sa maman quand celle-ci profite d'un déjeuner au resto avec ses potes, puisque c'est ce que j'ai pu faire avec elle tout récemment. Mais je suis mère de F., aussi. Pour qui, même à 5 ans, une telle chose serait impensable.
Avons-nous la possibilité de l'accompagner ? Y a t il la bande passante, pour l'un comme pour l'autre ? l'enfant ne peut pas être soumis à effort constant, et nous non plus. Différer, ne signifie pas ne rien faire : on ne nie pas le chantier, on priorise. Pour le moment, je choisis de travailler sur tel point, ensuite, ce sera le moment de…
Ce côté bande passante nous ramène à un point que t
u mentionnes également :
5. Ce qui est acceptable ou pas, ce qui est le "bon moment pour" accompagner notre enfant vers un changement de comportement dépend aussi de nos propres besoins de parents.
Car comme je l'avais évoqué dans ce sublime billet (oui, n'ayons pas peur des mots !) sur les limites du parent / le don de soi chez le parent, en éducation il ne s'agit pas, au fond, d'apprendre à nos enfants à respecter des limites abstraites, mais à accepter que tout un chacun a des limites, et à les prendre en compte dans son comportement. C'est une éducation qui ne se base plus sur la peur de l'autorité et de la sanction, mais sur l'empathie et le souci de vivre en communauté d'une manière qui respecte les besoins de chacun.
Et donc, il s'agit bel et bien de permettre cet apprentissage à notre enfant, en affirmant, graduellement, nos besoins de parents.
Ces besoins varient selon les parents, et varient dans le temps. Et en plus, il est dur de les détecter / leur accorder l'importance qu'ils peuvent avoir.
Un exemple tout bête et assez récent chez nous. F. et E. avaient pris l'habitude de manger 2 yaourts par jour. 1 au petit déj, et 1 à l'un des deux autres repas. Et parfois, ils ne se gênaient pas pour augmenter la dose. J'ai laissé faire en me disant que ce n'était pas bien grave.
Si ce n'est qu'en fait, ça devait bien m'énerver quelque part, entre
- le coût des yaourts (chez nous c'est chèvre ou brebis donc un minimum de 2x2yaourts par jour ça chiffre vite),
- la pression pour en racheter très régulièrement,
- l'énervement face à la manière dont ils avaient tendance à réclamer quand même plus,
- une mauvaise conscience sous-jacente parce que quand même, même si ce n'est pas du lait de vache, ingérer autant de produits laitiers animaux c'est peut-être pas optimal non plus,
Bref.
Il y a eu des conflits autour des yaourts; dont certains pas franchement gérés en mode positif...
J'ai fini par admettre qu'en fait, si : cela m'embêtait, et que j'allais m'écouter. J'ai annoncé la règle "à partir de maintenant, c'est 1 yaourt par jour". A eux de choisir si ils le prennent au petit déj, au déj, ou au dîner, mais une fois qu'il a été pris, il a été pris.
Cela m'a demandé de "tenir" pendant 2-3 jours, mais quel soulagement et détente sur le sujet depuis ! J'avais eu, comme tu dis, la "flemme" de m'y coller, mais après coup, je suis bien contente de l'avoir fait.
6. Par ailleurs, avoir confiance dans le développement de l'enfant c'est bien joli... mais pas trop quand même.
On a très envie, parfois, en tant que parent, de se dire que "ça viendra tout seul…". Ben… oui, beaucoup de choses vont venir seules ou presque. Mais d'autres... pas.
Je crois qu'en tant que parent il n'est pas facile de se positionner entre une posture où l'adulte superpuissant est celui qui apprend tout à l'enfant, et celle où l'enfant apprendrait et comprendrait tout, tout seul.
C'est par exemple le risque avec l'engouement Montessori :
- mal compris, les principes de cette pédagogie peuvent se retrouver interprétés en : "Je laisse faire mon enfant, il fera toutes ses expériences seul, et comprendra tout seul ce qui va et ne va pas". Hum, non.
- Typiquement, une classe Montessori c'est très normé, il y a des règles, les "expériences" que l'enfant va pouvoir faire sont calibrées, de manière à justement lui permettre de constater ensuite par lui-même ce qui va ou ne va pas, et l'adulte va lui montrer comment il doit manipuler tel ou tel matériel, avant de le laisser le prendre.
Il ne s'agit donc pas d'adopter une attitude de non-intervention, mais bel et bien d'intervenir différemment.
Exemple: si on disait "Je laisse mon enfant mettre le souk dans la salle de bains, il constatera tout seul que quand il met de l'eau partout, c'est moins agréable". Hum, peu de chances.
Il n'a pas les repères nécessaires pour apprécier vraiment la différence entre une salle de bains à peu près propre et rangée, et une salle de bains qui a vécu un tsunami bain enthousiaste de deux enfants qui ont voulu mélanger touts les produits et ustensiles de beauté dans la baignoire, puis vider ladite baignoire sur le carrelage. Ou alors, ce sera en glissant bien fort sur le carrelage humide, et en atterrissant aux urgences, ce qui est un prix assez fort à payer, pour toutes les parties prenantes y compris les parents.
En revanche, une manière pour l'adulte de sensibiliser l'enfant à l'intérêt d'une salle de bains à peu près propre et rangée, sera de
veiller lui-même à la maintenir ainsi
souligner son attente,
dire le risque ("sur un carrelage mouillé, on risque de glisser"),
souligner l'effet sur soi "l'eau en dehors de la baignoire salit la salle de bains",
et faire toucher du doigt la conséquence en invitant l'enfant à nettoyer / sécher derrière lui : toucher du doigt la vraie conséquence d'une salle de bains en bazar : ça cause du travail.
Bref, c'est tout, sauf ne rien faire.
Je crois que ce risque à espérer que "ça viendra tout seul" est particulièrement présent dans le cadre des conventions sociales, comme la politesse susmentionnée, ou encore la tenue à table dont tu parlais.
- Autant on peut partir du principe que le schéma de développement pousse spontanément un enfant à vouloir marcher, parler, et le simple spectacle de notre vie au quotidien, les interactions avec nous, suffiront à donner à nos enfants les informations et l'envie nécessaire pour développer ces capacités là,
- autant j'ai fini par admettre que nos enfants ont besoin de nous, de notre intervention, pour décrypter les codes sociaux. Ces codes sociaux sont, pour la plupart, bien trop complexes pour que nous puissions espérer que nos enfants les comprendront et assimileront tout seuls. Ils ont besoin de nous pour les expliciter, et pour manifester leur importance.
Et très honnêtement, j'ai suffisamment vu de grands enfants, ou d'adultes, se tenir n'importe comment à table pour penser que, non, là dessus, nous avons un rôle privilégié à jouer : interprète des exigences de la société.
C'est un point que je veux développer depuis loooongtemps sur le blog, et que j'ai pêché dans le livre de Jane Nelsen sur la Discipline Positive pour les 3-6 ans : le rôle fondamental des adultes pour guider l'enfant dans le labyrinthe que représentent la vie en société, ses codes, tout ce qui tourne autour de la relation à autrui.
Il y a plus.
7. En ce qui me concerne, ma relativement brève expérience de maman (F. n'a que 5 ans…!) m'a permis de me prendre suffisamment de baffes pour m'inciter à prendre en compte cet aspect.
En effet, j'ai eu assez d''occasions de constater qu'un des risques à trop compter sur le temps, et pas assez sur ma propre action, pour qu'un apprentissage se fasse chez mon enfant, c'est que
subitement ça devient urgent, on est exposé à une pression (notamment, au hasard, celles de "personnes qui me font douter" : généralement des membres de la famille proche dont le regard différent posé sur nos enfants, et la tendance à verbaliser leur pensée de manière assez peu diplomate, constitue un des charmes des retrouvailles familiales),
on se dit que "franchement, là il faudrait qu'il en soit capable quand même "
et c'est là où sous l'effet
- de la pression temporelle,
- du doute,
- de l'impatience / une certaine dose de rancune ("je t'ai laissé largement assez de temps"),
- voire de jalousie envers notre enfant (n'oublions pas que quand un comportement de notre enfant nous énerve particulièrement, y a des chances que ce soit parce que notre enfant intérieur - = nous, petit - se compare à notre enfant et pense "eh, mais moi on m'aurait jamais laissé faire ça, c'est pas juste !"),
on peut en arriver à se perdre assez loin des principes de l'éducation positive au nom desquels on avait pourtant laissé du temps (trop de temps ?) au temps.
Eh oui, paf, on se retrouve subitement en plein "trop de bienveillance tue la bienveillance". Et pour couronner le tout, la culpabilité que ce dérapage provoque en nous nous pousse à faire machine arrière et à lâcher sur le fond, quand c'est la forme qui posait problème.
Moralité, oui, comme tu le dis, la réponse à cette question est compliquée.
En fait, elle suppose un travail permanent, une réévaluation constante.
Oui, jauger le besoin d'éducation de notre enfant, c'est un sacré travail car cela suppose d'être attentif
aux besoins de son enfant (sans cesse en évolution. Et dans le tas des besoins de l'enfant, il y a le besoin d'apprentissage...),
mais aussi aux nôtres. qui en plus d'être en évolution, nous obligent souvent à fournir un sacré travail pour en être vraiment conscient, puisque c'est souvent ce qui ne nous a pas été appris dans notre propre enfance.
aux peurs qui nous empêchent d'affirmer ces besoins, et notamment à la peur de rentrer en conflit avec notre enfant. Or si il y a bien une chose à avoir en tête avec la parentalité positive, c'est qu'elle ne vise pas à éradiquer complètement le conflit / les crises avec notre enfant. Il y a forcément des oppositions, et ce n'est pas l'opposition qui constitue un problème, mais la manière (respectueuse ou non) dont elle est gérée.
"Oui, tu aimerais vraiment faire autrement. Le souci c'est qu'en tant que maman, je dois veiller à ce que ."
Bref, la crise n'est donc elle-même pas du tout un signe pouvant montrer qu'on a tort ou raison.
D'ailleurs, la même crise pourra être vécue comme un signe de laxisme, par notre entourage
on voit qu'il n'est pas habitué à la frustration ! et tu lui permets de hurler comme ça ?!?!
et comme un signe qu'on a été trop autoritaire, par nous-même
oh mince j'ai été trop dur(e)
et n'être ni l'un, ni l'autre, mais juste la manifestation logique d'une frustration nécessaire mais néanmoins douloureuse.
Du coup, je crois qu'un point important pour aider à discerner, c'est de savoir s'entourer.
Plus on est exposé à des avis "contraires" niveau éducation, à des avis de personnes dont la conception de l'enfant et de l'éducation est franchement éloignée de la nôtre, plus il est difficile de garder le cap : ces avis nous insécurisent, et on se retrouve, soit à les suivre sans conviction, soit à se braquer sur la position opposée. Perdant ainsi le contact avec ce qu'exigerait vraiment la situation;
Alors que fréquenter, observer, échanger avec des personnes ayant une sensibilité proche permet d'avoir
un avis, un regard autre, mais avec cette sécurité de savoir que la philosophie de base est la même. C'est ce que j'observe dans les groupes
Faber et Mazlish (celui auquel j'avais
participé, ceux que
j'anime) : les partages autour de l'un ou l'autre problème peuvent se faire sur la base des outils vus ensemble, et donc c'est très sécurisant pour le parent.
C'est ce que tu es venue chercher ici, et du coup, il te sera plus facile de tirer tes propres conclusions, sereinement, en t'en inspirant ou en décidant que tu vois les choses autrement, si je te dis que, par exemple, chez moi, je pars du principe que les enfants doivent apprendre à rester à table (bicoz code social, convivialité, miettes par terre et doigts sales sur le canapé). Mais comme c'est encore en contradiction avec leurs capacités actuelles, j'aménage la contrainte
comme toi, je permets de se lever pour se rendre utile, et même, j'encourage
quand le besoin s'en fait sentir (fatigue), et une fois leur assiette vide (pour m'éviter trop de tâches: un point que j'ai rajouté car j'ai affaire à deux enfants de 3 et 5 ans; je faisais différemment avec un enfant de 2), ils peuvent passer de leur chaise à la mienne pour se ravitailler en câlins et en attention parentale
si nous sommes en société (resto, repas en famille),
soit j'adapte aux us et coutumes locales (si on est dans une famille où les enfants se lèvent, mes enfants sont tout à fait capables d'entendre que là bas c'est autorisé, chez nous non),
soit je gère en adaptant les règles : par exemple, pour un repas qui va durer longtemps, je permets d'aller se lever entre chaque plat. Chez mes beaux-parents cet été, j'avais défini qu'ils restaient à table jusqu'à la fin du plat de résistance, et qu'ils pouvaient ensuite jouer autour de nous sur la terrasse jusqu'au moment de revenir à table pour le dessert. Cela permettait de concilier leur besoin de mouvement avec la longueur d'un repas "de famille" et l'envie de mes beaux-parents de discuter de manière prolongée avec nous.
Un point important, c'est que maintenant je prends les devants : j'énonce la règle à haute et intelligible voix devant mes enfants… et devant mes beaux-parents. Ils voient donc que je me suis clairement positionnée, que l'affaire est gérée, même si elle l'est différemment de ce que eux auraient mis en place. Et ils voient que j'occupe ma place de parent : la place de la personne qui définit les règles concernant mes enfants étant manifestement prise, il y a moins de tentation à venir l'occuper ;-)
Voilà quelques points pour discerner…. hélas, ils ne dispensent pas de ce discernement, et de ce qui va nécessairement de pair avec ce discernement : du
tâtonnement, des fois où on va un peu trop dans un sens, des fois où on va un peu trop dans l'autre, bref, d'errer, et dans errer, il y a "erreur". Et ça, ce n'est pas confortable, parce qu'en tant que parent on n'a pas du tout envie de faire des erreurs. Je te rassure (ou pas), personne n'y échappe, moi la première…
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"Père, gardez vous à droite ! Père, gardez-vous à gauche !" - Parent positif luttant pour ne sombrer si dans le laxisme, ni dans l'autoritarisme, allégorie |