Je crois que l'un des trucs les plus usants de la vie d'un parent d'enfant âgé d'environ trois ans, ce sont les colères. Ces colères ultra bruyantes, volontiers violentes, et interminables...
Des colères pendant lesquelles on a beau tenter de faber & mazlish-er, sortir de sa boîte à outils tout ce qu'elle contient, en l'essayant dans un sens, dans l'autre.
Nope.
Nada.
Chou blanc.
Effet zéro.
J'en discutais pas plus tard qu'un soir de la semaine dernière avec une bonne copine qui avait bien besoin d'un petit remontant téléphonique après une crise de ce genre, car il est clair que l'enfant n'est pas le seul à sortir totalement épuisé d'un tel épisode.
Au téléphone, nous avons passé en revue diverses possibilités d'action et leurs résultats, et notre discussion m'a permis de formuler un peu clairement les constats & conclusions suivants, que ladite copine a trouvé suffisamment éclairants pour m'inciter à en faire un article de blog.
Les constats
- donner des choix, par exemple, se révèle (en tous cas chez F., et chez le fils de ma copine), totalement inopérant dans ces situations.
- Et quand j'ai lu le conseil de dire à l'enfant de dessiner / gribouiller sa colère, j'ai trouvé cela brillantissime, j'ai cru avoir trouvé le Graal; j'ai limite eu hâte que la prochaine colère arrive histoire de pouvoir y avoir recours. Si ce n'est que ça n'a jamais, jamais, jamais fonctionné chez F., il n'a jamais voulu s'emparer du truc.(snif)
- si on cherche à donner du contact physique, c'est très compliqué, et on en perd vite l'envie, car l'enfant se débat, et cherche à nous taper; même les sacrosaintes guilis dont nous avions découvert le pouvoir pendant nos ateliers échouent lamentablement.
- reformuler précisément les sentiments : ne donne rien non plus
et quand je dis ne donne rien non plus : le truc affreux avec ces colères, c'est que quoi qu'on fasse, on se retrouve même plutôt fréquemment avec l'impression de verser de l'huile sur le feu. Quoi qu'on fasse, la situation dure, dure, avec des pics, des accalmies qui nous font espérer la lune, et paf, un nouveau pic.
Ceci est source d'un
terrible sentiment d'impuissance, ce qui,
rappelons-le, est le pire qui puisse nous arriver à nous parent, car ce sentiment d'impuissance constitue la cause la plus fréquente de pétages de plomb parentaux. A cela s'ajoute fréquemment le sentiment d'incompétence renvoyé par le regard des autres, puisque bien évidemment un certain nombre de ces épisodes fâcheux ont lieu en public.
C'est un peu par hasard que j'ai fini par arriver à la manière dont je gère maintenant ces épisodes (une fois que j'ai testé différents outils Faber & Mazlish et que leur totale inefficacité ainsi que la manière dont la situation se prolonge voire empire m'a permis de confirmer le classement de la situation dans la catégorie "GCMQT" - Grosse Colère de la Mort Qui Tue)
Réflexion n°1
Peu importe le motif "officiel' de la colère, il n'est probablement pas la cause de la colère.
Dans la situation de ma copine, la colère s'était déclenchée autour d'un refus d'ôter ses chaussures au retour d'une sortie.
Dorénavant, si l'utilisation de quelques outils F&M (ici, "je vois des chaussures par terre" "ooooh, je suis une chaussure fatiguée, je veux aller me reposer dans le placard à chaussures" "les chaussures vont dans le placard"...etc) ne mène à rien, je coche la première case : le problème n'est PAS les chaussures, les chaussures sont
- soit un prétexte à décharger (la contrariété est ailleurs),
- soit tout au plus un déclencheur (une petite contrariété qui a joué le rôle de goutte d'eau faisant déborder un vase rempli par tout autre chose)
et tout effort visant à régler le problème des chaussures est vain.
Conséquence: je ne perds plus une once d'énergie à m'occuper du problème des chaussures. Si je tiens à la limite, je la maintiens, si je n'y tiens pas, je lâche,
mais quelle que soit l'option retenue je ne centre pas mes efforts sur la
résolution du problème concret. D'ailleurs très souvent à ce stade, si on lâche sur les chaussures parce qu'à la réflexion on se dit que ce n'est pas si grave, la colère continue quand même, ce qui vient confirmer que ni le problème, ni la solution ne sont là.
Je suis donc économe de mes efforts : je n'ai rien à faire à un endroit où la solution n'est pas.
Réflexion n°2
Nos ateliers Faber & Mazlish et des lectures Fillliozatesques m'ont permis de mieux comprendre le mécanisme de décharge émotionnelle, et de vraiment percevoir à quel point un cerveau de 3-4 ans est encore immature.
Grâce à cela, je ne vois plus la crise de colère comme un danger long terme (il va devenir colérique, il ne saura jamais accepter la frustration, il me teste et si je ne réagis pas impeccablement, je signe pour 20 ans de guerre thermonucléaire), mais comme l'expression dans l'instant d'un mal-être passager qui ne sait pas encore s'exprimer autrement.
Conséquence : ma mission devient juste d'aider mon enfant à traverser cette colère, pas de la stopper. C'est un mauvais moment à passer, mais c'est nécessaire, il n'y a pas d'autre solution, car l'immaturité du cerveau n'en permet pas encore d'autre.
Mais ça viendra. Parce que ce fichu cerveau, il va mûrir! Forcément ! Y a que si je faisais vraiment le contraire de la ligne éducative que je me suis fixée (par exemple, si je le tabassais à longueur de journée) que je pourrais suffisamment nuire au développement de son cerveau pour empêcher vraiment cette maturation. En l'état, je peux avoir confiance, et je cherche à me recentrer sur cette certitude, que cette maturation se fera plus ou moins vite, plus ou moins bien, mais qu'elle se fera.
Une fois acquis que je n'ai pas à m'en faire sur le long terme, je peux me focaliser sur le court-terme : je cherche à aider mon enfant à traverser, et je cherche à m'aider, moi aussi, à traverser ce moment, parce que cette situation n'est agréable pour personne, et qu'il s'agit de prendre soin des DEUX protagonistes.
Une priorité, donc: que chacun de nous survive avec le moins de dommages émotionnels possible.
Réflexion n°3
Puisqu'il s'agit de gérer un besoin de décharge émotionnelle et non un problème concret du style les chaussures, je regarde parmi les outils de décharge émotionnelle. Y figure en bonne place le contact physique.
Oui mais, mon enfant n'en veut pas, il se débat quand je le prends dans les bras ? Et en plus il me tape.
Me rappeler que taper est souvent une manière, pour l'enfant, de venir chercher le contact physique dont il a besoin, m'a aidée à prendre du recul. Je considère que si, en fait, une des meilleures manières d'accompagner mon enfant dans sa colère (pas de la stopper, hein, cf point précédent, mais de lui fournir les conditions dans lesquelles il pourra le plus efficacement décharger), c'est ce contact physique, source d'ocytocine.
Conséquence: je n'hésite pas à contraindre F. à rester dans mes bras, en le saucissonnant. Je n'en espère pas une efficacité immédiate, mais je pars du principe que c'est une manière de l'accompagner, point.
Je le saucissonne, parce que je n'ai pas envie de me faire taper.
Si j'en ai marre, je m'autorise aussi à prendre soin de moi en disant que j'ai besoin de m'isoler, moi, quelques instants.
Mais globalement je m'efforce de ne pas trop le faire. Non pas par égard pour mon fils
(j'avoue avoir du mal avec certains discours que je vis comme très culpabilisants sur à quel point c'est terrible de laisser son enfant seul si il est en proie à une émotion destructrice. J'en ai déjà parlé, mais parfois, m'isoler, c'est juste un réflexe de survie. Cela peut être nécessaire pour stopper un phénomène de contagion émotionnelle qui peut finir par me rendre aussi violente que F.. Dans ces cas-là, il s'agit déjà d'éviter de " faire le deuxième noyé") mais par égard pour moi.
En effet, entre
- la situation où je saucissonne mon fils, et suis toute entière occupée à gérer physiquement sa colère, donc préparée aux éventuelles "attaques" de sa part,
- et celle où je me suis isolée, suis en train d'essayer de me calmer, et paf, je me prends une de ces attaques,
j'ai observé qu'une réaction incontrôlée de ma part était bien plus susceptible de se produire dans la situation n°2: l'effet "surprise" joue à plein, et me prive d'une partie de mes ressources alors que celles-ci sont déjà naturellement mobilisées dans la situation n°1.
Réflexion n°4
Si le motif essentiel de la colère n'est pas ou peu en lien avec l'émotion véritable qui est à la racine de la colère, alors en tant que parent ayant lu Faber & Mazlish, on va s'efforcer d'accueillir les sentiments de l'enfant en mettant des mots dessus, pour l'aider à développer son vocabulaire émotionnel, et contribuer ainsi au développement de sa capacité à exprimer autrement son mal-être.
On va dire
"ça t'a mis en colère que..."
"tu étais déçu que...."
"il m'a semblé que tel machin t'avait fait peur...".
Nommer l'émotion, bon sang, ZE solution.
Et très souvent c'est le cas / ça aide.
Mais, en ce qui me concerne, et c'était aussi le cas de ma copine ce soir là, très souvent aussi, ça n'aide pas du tout.
C'est le hasard qui m'a permis de mettre le doigt, à la fois sur la raison pour laquelle parfois, nos efforts pour nommer précisément l'émotion de l'enfant peuvent se révéler contre-productifs, ne l'aident pas, et sur l'attitude que j'adopte dorénavant dans ces cas-là.
J'ai évoqué le premier épisode au cours duquel j'ai "inventé" cette attitude lors d'une de mes Semaines de Parentalité Positive (hasard, peut-être
la pire de la série), le mardi.
Et depuis, à de nombreuses reprises, je me suis retrouvée dans une situation où chercher à nommer précisément le sentiment, n'aidait pas, mais où me contenter d'un "c'est dur, c'est vraiment dur" à intervalles réguliers, aidait.
Hypothèse d'explication : je suppose que quand le cerveau immature de l'enfant est en pleine surchauffe,
sa capacité à gérer les mots, les finesses des mots, tout cela, est fortement diminuée voire quasiment absente. C'est pour cela qu'un choix (cf réflexion n°1) ne va alors qu’aggraver le problème car lui demander un effort cérébral dont il est à ce moment précis totalement incapable.
Je pars du principe que, de la même manière, la réflexion précise sur ce qu'il ressent peut aussi représenter une sollicitation trop forte et qu'il ne sait pas gérer : comparer ce qu'on lui reflète (colère, déception) avec ce qu'il ressent (un magma informe) lui demande un effort de tri, de discernement, totalement hors de sa portée à ce moment précis. Et aggrave le mal-être puisque vient s'y rajouter un stress supplémentaire.
Conséquence: en début de colère, je cherche à nommer l'émotion. Mais si la colère persiste, je me borne à une phrase générique "c'est dur", qui en fait reflète bien mieux ce que l'enfant, à ce moment, perçoit de son propre état émotionnel : pour lui, en ce moment, foin de précision, c'est juste "dur", un point c'est tout. Et du coup, cette expression générique est bien mieux à même de lui donner l'impression d'être compris. Plus tard, à froid, on pourra toujours revenir sur ce qui s'est passé et nommer plus précisément.
Voili voilou.
Il ne s'agit pas de faire disparaître les colères du Troizan, ni de les rendre hyyyper agréables, mais je constate que, pour ma part, depuis que j'ai rajouté cette corde à mon arc, je réussis à traverser ces moments de manière plus sereine, et partant, à être davantage en mesure d'aider mon fils à les traverser.
En espérant que cela pourra aider l'une ou l'autre d'entre vous !
Si vous avez des pistes de réflexion complémentaires à partager, je suis toute ouïe, car tout de même, hein, c'est pô fôcile tous les jours!