lundi 18 décembre 2023

Front parental : "Ne jamais reprendre son conjoint devant les enfants" - Ben si.

Tout récemment une discussion Facebook m'a rappelé une autre de ces grandes croyances si répandues dans nos têtes de parents, et qu'il est tellement difficile de remettre en question... et tellement important car bénéfique pourtant : j'ai nommé...

La nécessité de "faire front" devant les enfants 

= se montrer d'accord avec son conjoint sur les décisions concernant les enfants, y compris le soutenir devant eux / ne pas le contredire ou contrecarrer quand il agit d'une manière qui nous semble pourtant pas ajustée voire franchement nocive.

En l'occurrence il s'agissait d'un conjoint ayant recours à des mots très blessants envers les enfants ("tu es nul"), et des mesures humiliantes, à des fins de discipline. 


Les échanges Facebook m'ayant amenée à approfondir / détailler un peu ma réflexion sur le sujet, j'ai réalisé que je tenais là une de ces fameuses #phrasàlacon, un de ces mantras dont on hérite et reprend si facilement comme une vérité de base, inquestionnable. 

Et en fait... sans l'avoir fait consciemment, je m'aperçois que, alors que c'était très clairement quelque chose dont j'étais persuadée avant d'avoir des enfants, je m'en suis bien détachée.

Alors, des fois que ça puisse vous servir, questionnons ensemble : 

En quoi est-il excellent de contredire son conjoint dans ce genre de situations ?


1. Déjà, il y a là un signal important : il est essentiel pour rassurer l'enfant, restaurer ce qui est blessé ainsi dans son intégrité

Aucun parent ne se comporte toujours parfaitement envers son enfant (sauf moi, bien évidemment... hum hum), nous blessons donc nos enfants régulièrement. Pas moyen de l'éviter totalement. 

Mais quand un parent débloque, soit par exception, ou encore davantage quand c'est régulièrement, il est très précieux que l'enfant puisse avoir la confirmation, par la réaction de son autre adulte de référence, que ce qui se passe n'est pas "normal", acceptable, et encore moins mérité.

Cela permet d'atténuer considérablement l'impact des mots / actes du parent-qui-débloque, en augmentant les chances que l'enfant puisse davantage les catégoriser comme tels, et non comme des vérités intangibles. 


Ca, c'était mon premier niveau de réponse, celui qui est sorti le plus spontanément. Et puis en fait... d'autres me sont apparus. 

En contredisant son conjoint devant ses enfants, on les protège dans l'instant, eux, et dans l'avenir (en leur montrant que personne n'a le droit de leur dire des trucs pareils)... et ...


2. On leur transmet également des messages forts et ô combien précieux sur le couple, et l'amour en général :

  • droit de penser /ressentir différemment dans un couple
  • droit de se disputer: ce n'est pas la fin du couple
  • les adultes peuvent avoir tort 
  • et on peut estimer que quelqu'un a tort et continuer à l'aimer

Droit de penser / ressentir différemment : pour être un couple, pas besoin de nier son identité, on peut ne pas être d'accord. A l'inverse de cette citation de Woody Allen (eh, je me cultive en vous écrivant : jusqu'à ce que j'aille vérifier je pensais que c'était Sacha Guitry, mais Google m'a appris le contraire).
Le mariage, c'est quand un homme et une femme ne font plus qu'un. Le plus difficile, c'est de savoir lequel.
C'est tellement important de réaliser qu'être amoureux ne signifie pas abdiquer son identité et ses ressentis propres ! Y compris dans nos petites et grandes limites personnelles : les 3 Bouts savent par exemple très bien que mon niveau de tolérance au bruit n'est pas le même que celui de Monsieur Bout, et que donc, les "règles" autour du bruit ne sont pas les mêmes selon si ce sont mes oreilles uniquement qui sont impliquées, ou celles de leur père.


Droit de se disputer : oui, en prenant le contrepied de notre conjoint devant nos enfants, on leur montre qu'un couple qui s'aime se dispute aussi. Si nos disputes n'ont jamais lieu devant eux, comment pourraient-ils vivre leurs propres disputes de couple futures comme quelque chose de normal ? 
J'ai en mémoire l'une des mes colocs autrichiennes dont les premiers mois de relation avec son petit copain ont été ponctués de plusieurs quasi-ruptures : à chaque dispute, ledit petit copain voulait rompre car à ses yeux, se disputer était le signe qu'on n'était pas faits pour être ensemble. C'est embêtant, puisque un couple, ça se construit aussi sur sa capacité à surmonter les crises, pas juste à les éviter.


Les adultes peuvent avoir tort 
Trèèèès important ça. Essentiel à l'auto-préservation de nos enfants.

On peut estimer que quelqu'un a tort et  continuer à l'aimer 
Là c'est le pompom, puisqu'il vient toucher à un des mécanismes psychologiques les plus délicats qui soient : la capacité à se remettre en cause, c'es-à-dire à repérer / reconnaître qu'on a eu tort.
Se remettre en cause est un sport extrêmement compliqué à pratiquer, qui réveille des mécanismes défensifs d'une force inouïe. Et pourtant TELLEMENT essentiel. (c'est du reste une dimension que je testais systématiquement quand je recrutais. Travailler avec / manager quelqu'un qui ne peut accepter d'avoir tort, c'est l'horreur)
Or cette difficulté à se remettre en cause est souvent bien ancrée, car liée à une croyance bien forte "quelqu'un qui se trompe, qui a tort, n'est pas digne d'être aimé" / "pour être aimé, je dois être parfait". Plutôt crever que d'admettre qu'on n'est pas parfait, alors ! 

Alors que là, en montrant à notre enfant qu'on peut estimer que notre conjoint a franchement tort et continuer à l'aimer :
  • on lui montre que lui-même peut avoir tort et continuer à être aimé... et donc profiter des ressources formidables liées à la remise en cause ! Citons notamment : 
    • apprendre de ses erreurs
    • oser faire des trucs (puisque c'est pas la mort de se tromper / ne pas y arriver)
    • pardonner et demander pardon
  • on lui montre qu'il peut considérer que son père a tort et continuer à l'aimer, plutôt que d'avoir le choix entre nier son ressenti d'enfant, ou considérer que son père est un gros c**. Dilemme qui contribue grandement à 
    • la violence des crises d'adolescence, si elles ont lieu, 
    • la difficulté à établir des relations adulte-adulte avec ses parents
    • la difficulté à remettre en cause des schémas familiaux / styles d'éducation : comment décider d'éduquer autrement mes enfants que je ne l'ai été, puisque ce serait implicitement ou explicitement, exprimer que mes parents ont eu au moins un peu tort d'agir comme ils l'ont fait avec moi, alors que j'ai intégré que je ne peux les aimer si ils ont tort ?
Et voilà comment je me retrouve devant un choix silencieux bien pourri : aimer mieux (= plus efficacement) mes enfants, ou continuer à aimer mes parents ? 
Il s'agit donc de ne pas définir la loyauté comme quelque chose qui m'empêche de penser/exprimer que l'autre a tort (une croyance bien nocive qu'on retrouve partout, jusque dans les CODIR dont je m'occupe), mais de démontrer le contraire, en live.

La vérité vous rendra libres, il paraît.

Cerise sur le gâteau : si on arrive à se disputer de manière constructive, à soigner un peu sa manière de s'exprimer à ce moment-là, nos enfants peuvent même en retirer des compétences en la matière : "Exprimer vigoureusement son désaccord sans attaquer l'autre"... des leçons étrangement similaires à l'apprentissage de l'expression de notre colère envers eux, guidé par Faber et Mazlish....

Je dis ça, j'dis rien !

Par Rundvald — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=123316058