Il y a quelques jours j'avais initié une réflexion sur la compatibilité, pour un parent, entre le fait de se donner et le fait de veiller sur ses propres limites et besoins. Contradiction, compatibilité, lien étroit et nécessaire ? Vous trouverez la partie 1 ici, la partie 2 là.
Je me suis beaucoup appuyée, dans cette réflexion, sur les mots libérateurs de Haim Ginott, notamment ceux rapportés par ces chères Faber & Mazlish dans "Parents Épanouis, Enfants Épanouis".
Aujourd'hui j'aimerais creuser davantage cette question en la considérant d'un point de vue chrétien. La Foi incite à se donner radicalement, alors, si je regarde tout cela sous l'angle de la foi, est-ce que ça change quelque chose?
Non, pas du tout !
Et oui, énormément !
1. Veiller sur nos propres limites, nos besoins ?
Oui!
L'amour sacrificiel est bien joli, mais il ne peut exister tout seul, nous rappelle l'encyclique "Deus Caritas est" : pour donner, il faut recevoir.
"l’homme ne peut pas non plus vivre exclusivement dans l’amour oblatif, descendant. Il ne peut pas toujours seulement donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don."
On peut voir cela comme en contradiction avec le fameux grain de blé qui, si il veut porter du fruit, doit mourir... Au pied de la lettre, hum, il est bon de se rappeler que les humains ne se multiplient pas par les mêmes canaux que les grains de blé, et que si la maman qui se prend pour un grain de blé crève, les bébés grains de blé sont mal partis...
Personnellement, je crois qu'en étant parent, on meurt toujours un peu, mais différemment : on mue, on se détache de certaines besoins, on devient plus soi-même, on s'élève... Ce fameux temps libre dont je parlais dans ma toute première partie est partiellement remplacé par des choses qui ont bien davantage de sens. Ainsi le vois-je bien :
- nos weekends de jeune couple sans enfants, nous les passions facilement à lézarder dans notre appartement, en mode couch potato (j'aime beaucoup cette expression anglo saxonne : pomme de terre de canapé, l'image en dit long); maintenant, nous passons bien davantage de temps dehors: la nécessité de sortir les enfants nous oblige à nous aérer, à prendre mieux soin de nous, finalement !
- Idem pour la nourriture: nous mangeons bien mieux depuis que je dois aussi veiller à l'équilibre alimentaire des Bébous.
- Et enfin, dernier exemple: j'ai passé les dernières semaines de grossesse de F. allongée sur notre lit, à jouer à Age of Empires et aux Sims. C'était une époque! Parfois je vois les CD rangés sur leur étagère et je me dis "ah je me ferais bien..." mais au fond, maintenant, les Sims ont été remplacés par des choses bien plus profondes et épanouissantes (genre écrire des billets de blog à rallonge).
Bref, être parent, c'est bien une vocation: un chemin qui nous rapproche du Seigneur, pas à pas, nous changeant petit bout par petit bout... nous reprogrammant, en quelque sorte ! Là où nous allions avoir besoin de nous divertir avec un spectacle humoristique, les mots craquants de nos zouaves deviendront une nouvelle source de rires, sans fin, et gratuite...
2. Se donner pour apprendre à notre enfant, et notamment lui apprendre à se passer de nous ?
Oh que oui!
Et c'est assez délicat.
D'un côté, il y a notre amour, qui doit être un signe de l'amour du Seigneur pour notre enfant... on le verrait bien sans limite, cet amour, à l'image de l'amour du Seigneur pour nous.
Mais de l'autre, l'autonomie de notre enfant demeure toujours une de nos premières missions de parents :
nous lui donnons pour qu'il soit capable de nous quitter, "il quittera son père et
sa mère...". A nous de donner d'une manière qui le rende libre, et non qui tisse des liens d'autant plus difficiles à rompre qu'ils seront invisibles.
J'irai même plus loin.
"Je te comblerai au delà des désirs de ton cœur", nous promet le Seigneur.
Que cette phrase est douce à nos oreilles!
Mais
ça, c'est le taf du Seigneur. Cette envie d'être comblé totalement, et
d'être celui qui comble totalement un autre, vient de cette soif
d'absolu qui nous pousse vers Dieu, elle ne doit pas nous en détourner /
détourner nos enfants de Dieu.
Je m'efforce donc de garder en tête qu'On ne m'en demande pas tant, même
si on me demande d'être le signe de l'amour de Dieu, et le vecteur de
sa grâce. Durant la grossesse, oui, je comble plus ou moins totalement mon enfant, mais ensuite, c'est le début de sa marche autonome vers Dieu, vers un absolu qui le dépasse et dépasse mes faibles capacités.
3. Donner pour lui apprendre à vivre en société ?
Toujours, mais...
Il s'agit de bien davantage: en tant que parents chrétiens, notre mission n'est plus simplement de faire de nos enfants des individus biens dans leurs bottes et capables d'une vie harmonieuse avec leurs semblables. Non, la barre est placée un chouilla plus haut : faire de nos enfants des saints. Ouch.
Plusieurs interprétations possibles, du reste
- je peux dire: ah ben tiens, vlam, voilà mes limites, comme ça tu apprendras très tôt à te sacrifier pour les autres
Pas très probant, si on part du principe que les enfants apprennent avant tout d'un modèle
- alors, allons-y, hop, sacrifions-nous, donnons-nous à fond, comme cela ils auront un modèle sous les yeux
Hum, oui, mais quel modèle ?
Car les enfants ont envie d'imiter un modèle si celui-ci représente une voie perçue comme enviable....
Parmi les Saints "modernes" qui ont pu, à moi, me donner envie de la Sainteté, je pense à Mère Térésa. Sans blague, Mère Térésa, elle a un sourire jusqu'aux oreilles! Elle irradie de joie. Elle donne sans compter, mais elle donne d'une manière qui ne dégoûte pas de donner: quand on la voie, on a envie de faire pareil.
Dans le même ordre d'idées : parmi les bouquins dit "d'éducation" qui ont pavé mon chemin vers la parentalité positive, a figuré le "Transmettre l'amour" de Paul Lemoine...
Transmettre l'amour, n'est-ce pas en effet le premier objectif de mon éducation ? Aimer mon enfant, lui apprendre à aimer.... Mais quel amour veux-je transmettre à mon enfant ? Je ne veux pas transmettre l' "amour souffrant" dont parle Haïm Ginott, je veux lui transmettre un amour joyeux.
- Alors je peux souffrir en me collant un sourire jusqu'aux oreilles, mais non: nos enfants aspirent à nous connaître et à entrer en relation avec nous dans ce que nous sommes, pas à travers un masque.
- En revanche, je peux donner beaucoup en me branchant sur la source de tout don, et témoigner ainsi à mon enfant de la source de ma joie.
Me brancher sur le Seigneur par la prière, pour pouvoir me donner ensuite...
Si on reprend la phrase de Haim Ginott :
"on peut se montrer un peu plus gentil qu'on se sent, mais pas beaucoup plus".
Celle-ci demeure valable. Ce qui change, du fait du branchement sur le Seigneur, c'est le positionnement du curseur ... ceci dit, je me demande si ce n'est pas moins l'écart qui grandit (entre la manière dont je me sens, et le comportement que je suis en mesure d'adopter) que la manière dont je me sens qui change...
4. Me donner alors... d'une manière qui rend mon enfant libre, qui ne soit pas culpabilisante pour lui.
Me donner en vérité, avec mes faiblesses : comme vu dans la seconde partie, il s'agit de chercher à discerner là où je dois donner, comment je dois donner, quels moyens sont bons, lesquels sont mauvais. C'est une sacrée responsabilité!
Et une responsabilité sacrée.
A ce sujet je suis vraiment heureuse d'avoir "rencontré" l'approche éducative qu'est la parentalité positive : j'apprécie énormément la manière dont elle reprend, pour moi, les valeurs de base de l'enseignement du Christ. A Paray, entendre au détour d'une conférence qu'on ne peut poursuivre une fin bonne par un moyen qui ne le soit pas, ça m'a parlé! (un grand sourire pour la personne qui me retrouvera la citation exacte, j'ai omis de dégainer mon Bullet Journal à temps...). Cette exigence nous oblige effectivement à prendre un sacré recul sur notre éducation et les moyens que nous employons.
Une telle exigence implique beaucoup de travail.
Et c'est là où, par exemple, peut venir intervenir l'injonction de Jean-Paul II à exercer une paternité / maternité responsable, y compris dans le choix du nombre d'enfants.
C'est une vraie question, ça... si j'éduque mes enfants d'une manière qui entraîne chez moi une implication, un don accru de ma personne, peut-être y a-t-il bien une limite au nombre d'enfants que je suis capable d'éduquer ainsi, et peut-être ce nombre peut-il se révéler inférieur à ce que j'ai vu autour de moi, dans des familles à l'approche éducative différente.
Cette limite
- peut être provisoire : pour le moment, je suis occupée à grandir en tant que parent, et mes capacités me permettent tout juste d'être à l'écoute des besoins des enfants que j'ai,
- ou peut finir par devenir définitive. Non pas parce que je déciderais que "ça suffit, il est hors de question qu'on m'en demande plus, j'arrête de grandir dans ma capacité à donner", mais parce que ce n'est pas seulement la croissance du nombre d'enfants qui vient solliciter la croissance de ma capacité à me donner : il y a la croissance des enfants eux-mêmes (miam miam l'adolescence), il y a ma croissance / maturation / vieillissement à moi...
Une telle exigence implique nécessairement des erreurs.
Elles sont inévitables celles-là !
En ce qui me concerne je trouve que l'éducation est un domaine dans lequel je suis amenée à faire l'expérience concrète de ce qu'est le péché originel, qui se transmet de génération en génération. Ainsi ai-je réalisé tout récemment que certaines émotions vécues pendant la grossesse de F. l'avaient probablement fortement impacté alors même qu'elles n'avaient rien à voir avec lui. Mais voilà, mes blessures d'adultes ont quand même réussi à se faufiler jusqu'à mon enfant, jusque dans mon sein, pourtant sensé être l'abri ultime.
Et même sans parler de grossesse : parce que, comme tout enfant, j'ai été blessée par mon éducation, je ne peux, malgré tous mes efforts, éviter de blesser mon enfant. Tel comportement normal de sa part mais me renvoyant à mes blessures suscitera une réaction disproportionnée chez moi et provoquera une blessure chez lui... qu'il transmettra d'une manière ou d'une autre à ses propres enfants.
Et pourtant, là encore, par mes erreurs, j'entraîne mon enfant sur le chemin de la sainteté: un chemin sur lequel on tombe et on se relève, ou plutôt, on tombe, on demande pardon, et on est relevé.
Donner avec la vérité de ce que je suis, un être limité et qui fait des erreurs, sans verser dans l'angélisme (noooon ça ne me dérange paaaas), c'est cela : la liberté vous rendra libres !
A mes yeux, il s'agit d'une sorte d'écologie de l'éducation : je plaide pour une réintroduction des limites parentales dans leur milieu naturel. Une réintroduction faite avec infiniment de patience et de miséricorde, les yeux toujours fixés sur notre Père à tous.