Aujourd'hui, petite réponse au courrier des lecteurs ;-)
La question m'ayant déjà été posée plusieurs fois en
ateliers Faber et Mazlish, j'ai pensé que tant qu'à prendre le temps de formuler la réponse par écrit, celle-ci intéresserait un assez large public.
"J'aime beaucoup l'outil "En un mot", qui est d'ailleurs plutôt efficace avec mon grand de 3 ans et demi. Je ne crois pas l'utiliser tous les jours, mais il revient souvent "Chaussures", "Manteau". Parfois, d'un ton aimable ou rigolard, et parfois j'avoue, d'un ton franchement autoritaire (surtout quand c'est la 3ème fois que je demande à ce qu'il enlève ses chaussures boueuses dans le salon).
Bref tout va bien. Sauf que voilà que notre fils commence à utiliser cette technique sur nous : "nez" ("Maman, s'il te plait mouche moi le nez"), "Lavette" ("Papa, voudrais-tu bien m'aider à m'essuyer les mains après mon goûter plein de chocolat ?"), etc. Comme moi, parfois avec un ton rigolard (en chantant "nez nez nez nez neeeeez"), parfois d'un ton autoritaire. Je ne peux pas vraiment le blâmer, c'est normal je crois, qu'il communique avec nous de la même manière qu'on communique avec lui.
Mais du coup, je fais quoi ? C'est vraiment désagréable d'entendre juste "Nez", au point que je me demande bien pourquoi il m'écoute quand je lui dis "en un mot" Suis-je condamnée à arrêter d'utiliser cet outil ? Devrais-je l'utiliser autrement ?"
N'est-ce pas qu'elle est bonne cette question, dites, hein ?
Décortiquons un peu.
1er constat : l'enfant communique avec nous de la même manière qu'on communique avec lui. Eh oui.
C'est d'ailleurs quelque chose de magique dans l'usage de ces modes de communication respectueux. En faisant 3 tonnes d'efforts pour les apprendre et les utiliser, nous les transmettons à nos enfants, et eux parleront ce langage plus naturellement que nous. C'est super chouette !
Ou pas, visiblement, dans le cas qui nous occupe.
Car 2ème constat : autant entendre notre enfant décrire un problème plutôt qu'accuser un coupable nous remplit d'aise et de cuicui-tirelirelire, autant l'entendre nous formuler ses demandes en un mot nous est vraiment désagréable.
Flûte de zut.
Pourtant, on n'est pas sensé apprendre des outils de communication désagréables, non ? en Faber et Mazlish, on est censé pouvoir compter sur le fait qu'on apprend des moyens de communiquer qui sont respectueux. D'ailleurs, l'enfant écoute, on se demande bien pourquoi...
Est-ce qu'il y aurait donc des cas dans lequel s'entendre dire des choses en un mot est respectueux, pas désagréable, ou en tous cas nettement moins désagréable que les alternatives ?
Eh oui.
Et c'est bien là qu'est la nuance : dire les choses "en un mot", ce n'est pas pour faire une demande, demander de l'aide, solliciter un service, etc.
Si par hasard nous l'utilisons ainsi, arrêtons-nous vite !
Mais dans les faits, je crois que très peu de parents le font. Car inconsciemment, implicitement, un adulte saisit que ce n'est pas adapté, et met davantage de formes pour faire une demande.
Un adulte. Détenant tous les codes sociaux.
Pas un jeune enfant, justement en train de se frayer un chemin dans le labyrinthe de ces mêmes codes sociaux.
A quoi, donc, sert le fait de dire "en un mot" ?
Ca sert pour les rappels.
Ca sert pour les informations qui servent le destinataire du message (le "F., tes chaussures" vient rappeler que "eh, tu sais, y avait un truc là, avec tes chaussures" - ah oui, elles se rangent), pas pour celles qui servent l'émetteur du message (celui qui aurait besoin qu'on lui mouche le nez).
C'est, comme je l'écris si bien dans mon
livre (auto-jetage de fleurs bonjoâââr), une manière de titiller tout doucement un neurone endormi,
endormi mais qui a déjà l'information.
Et c'est bien dans ce cas que ce n'est pas désagréable : utiliser un seul mot pour un rappel est une bonne et sainte chose, qui contribue à la paix et au respect réciproque dans les familles, puisque ça
évite le désagrément du sermon
aide le parent à formuler le rappel avec patience en économisant celle-ci (le "ton aimable ou rigolard"),
ou, en cas d'épuisement du stock de patience, limite l'impact du "ton autoritaire"
utilisé très brièvement sur un seul mot, son désagrément est plus court;
par ailleurs, on observe que pluuuus on parle longuement à un enfant -ou à qui que ce soit d'ailleurs- en étant énervé,
plus notre ton de voix a tendance à monter / notre énervement aussi,
et plus on a de risque de finir par sortir une bêtise / un mot blessant, un "toujours", "jamais", un "tu qui tue", etc
Maintenant qu'on a dit ça, eh bien, yapuka… transmettre cet enseignement à notre enfant.
Il s'agit bien
Peut-être un petit moment de réflexion à avoir sur ce sujet-là, pour être bien au clair ?
Si une gêne persiste, trois options :
Renoncer effectivement à cet outil, pour éviter la dissymétrie. Mais pas tout de suite, eh, fouillons d'abord les autres options.
Réfléchir à ce que cet outil évoque chez nous de notre enfance : y a ptet un petit truc à déconstruire, si on a manié cet outil avec nous d'une manière très péremptoire par exemple, en mode "on me parle comme à un chien". En ce qui me concerne, je me suis ainsi aperçue que j'étais mal à l'aise avec l'usage du s'il-te-plaît parce que dans mon enfance, il avait justement beaucoup été détourné de son sens véritable : pour habiller ce qui était en fait des ordres et non pour formuler des demandes (avec possibilité de les refuser). En prendre conscience m'a permis de décider sciemment de faire autrement, et de dissiper le malaise.
Creuser encore un peu plus le sujet, cf. plus bas : cette gêne recouvre peut-être autre chose.
Comment ?
L'expression des sentiments et la formulation de nos attentes / suggestion d'alternatives constituent des moyens souvent très adaptés à cette transmission
"Quand on me demande un service, c'est désagréable pour moi d'entendre cela avec juste un seul mot. Je préfère entendre une phrase entière. As-tu une idée de comment tu pourrais me demander cela de manière plus agréable ? / Tu peux me dire 's'il te plait maman, je voudrais de l'aide avec la lavette' ."
Très souvent l'enfant est heureux qu'on lui souffle son texte et reprend nos mots. Cette fois-ci, … et d'autres : nous lui avons fourni une information utile et réutilisable (ou pas… il est probable que nous aurons besoin de répéter cela aussi… plusieurs fois… et en utilisant plus d'un mot, du coup, évidemment ^^).
On pourra expliciter l'usage du mot tout seul ainsi
"Le mot tout seul, c'est utile / c'est quand on a besoin de rappeler à l'autre personne quelque chose qu'elle doit faire, qu'elle le sait mais qu'elle a oublié, pour l'aider vite à s'en souvenir sans trop l'embêter"
(ouais ma formulation est très "orale", vous pouvez remplacer par "quelque chose dont je sais que je dois le faire, mais que j'ai oublié, etc..." ;-) )
Pour terminer : revenons un peu sur l'option 3: une autre chose qui peut se cacher derrière notre agacement à nous entendre rappeler des choses en un mot.
Il peut être tout simplement agaçant pour nous de devoir les faire, ces choses : l'impression qu'on abuse un peu de nous, que déjà, là, on en fait largement notre part, et que oui on a oublié mais zut, l'autre n'a pas à l'exiger de nous...
L'agacement contre le "en un mot" est en fait la partie émergée de l'iceberg. Nous dirigeons notre ressentiment contre le mode de communication, quand c'est ce qui est communiqué qui nous énerve.
En prendre conscience peut nous aider à réajuster notre attitude : en ayant tout simplement une communication plus vraie.
soit en identifiant qu'en fait, on a une limite, là, qu'on ne respecte pas, et qu'au fond c'est cela qui nous titille.
Peut-être est-il bon de réfléchir à moins en faire ? Si nous entendre rappeler après le retour d'école qu'on devrait vider le sac de dejeuner de notre 6 ans nous énerve (un exemple pris totalement au hasaaaaaard), peut-être est-ce tout simplement le moment de lui confier cette tâche ?
Soit tout de suite si on est capable de le formuler de manière constructive… soit c'est un point à aborder très vite, mais un peu plus tard, sous peine de partir du mauvais pied "Ah mais en fait j'en ai marre, pourquoi ce serait moi, t'as qu'à le faire toi-même je fais tout dans cette maison / je suis pas la bonniche".
Message qui a beaucoup moins de chance d'être bien reçu qu'un
"Hum, en fait je réalise que ça me fait beaucoup de choses à gérer. J'aimerais que tu prennes ton sac en charge le soir dorénavant. Veux-tu que nous le fassions ensemble ce soir / demain soir pour que tu sois sûr d'où vont les différentes choses ?"
ou même en mode résolution de problème plus large :
"Je vois que j'oublie beaucoup de choses le soir, c'est embêtant pour toi, et pour moi. J'aurais besoin de pouvoir penser à moins de choses. Comment pourrions nous réorganiser le soir pour que ça se passe mieux, et que j'aie moins de travail ?"
Il s'agit alors d'exprimer ses sentiments (oh non encore), et ses attentes (oh flûte de nouveau… ça ne s'arrête jamais. Et oui !) en sollicitant directement cette reconnaissance là où c'est adapté.
Ca peut être vis-à-vis de notre enfant
"Oui, je sais que j'ai oublié et que tu me le rappelles, mais là, ce soir, quand je fais plein de choses pour toi en même temps, je crois que ça m'encouragerait davantage d'entendre un "merci maman d'avoir fait ci, pourras tu penser aussi à ça ?"
ou ça peut être vis-à-vis de notre conjoint, par exemple.
Soit parce que la fonction de notre enfant n'est pas de combler notre besoin de reconnaissance (en tous cas pas au degré auquel nous aurions besoin qu'il soit comblé), soit parce que, hein, fréquemment, l'agacement du au manque de reconnaissance que nous ressentons face à un petit manque de respect de notre enfant est en fait l'expression détournée du manque de reconnaissance que nous ressentons de la part de notre conjoint. (ou d'autres personnes : chef, voisins,... bref, des adultes n'étant pas nos enfants).
Encore du boulot de clarification de la comm et des attentes en perspective...
En espérant que cette petite analyse du "en un mot" ait été utile ;-)