Quelques échanges récents sur la toile ont rappelé à ma mémoire défaillante ma propre incertitude quand je me suis retrouvée avec un bébé pour qui une 4ème tétée semblait superflue.
Le bouquin qui aura a été notre Bible durant la première année du Bébou: "Transmettre l'amour", du docteur P. LEMOINE, mentionnait le fait que, parfois, un enfant pouvait avoir besoin d'un rythme à 3 tétées.
Mais j'avais eu beau surfer sur la toile, pas un mot sur ce rythme à 3 repas pour venir nous rassurer...
Du coup, il avait fallu beaucoup de courage (et que ledit Bébou insiste lourdement plusieurs jours de suite pour faire comprendre à ses pauv'crétins de parents que oui, c'était bien CA qu'il voulait) pour oser sauter le pas.
Voici donc en exclusivité
le feedback d'une mère de non pas un, mais deux enfants "à 3 repas":
(la Bébounette ayant visiblement été fabriquée sur le même moule que son frère, elle a adopté ce rythme dès l'âge de 2 mois).
Je passerai en revue à la fois les principes théoriques & l'expérience que nous en avons fait.
A. Un enfant ne se laisse jamais mourir de faim
Elsa en parle joliment
ici, et c'est un point que P. Lemoine développe amplement.
Sauf cas pathologique vraiment (vraiment vraiment vraiment - une gastro n'en fait donc pas partie....) grave, un enfant ne se laisse pas mourir de faim.
- Sa faim peut varier selon les jours,
- sa faim peut être très en deça de nos attentes (facilement excessives) d'adultes,
- sa faim peut être en deça des quantités moyennes (il y a écrit "moyennes" !) conseillées,
- sa faim peut être en deça de "ce-que-mangeait-Bidule-au-même-âge",
mais
- sa faim lui est personnelle et c'est elle que nous devons écouter, condition sine qua none à ce que lui sache l'écouter aussi plus tard.
Une remarque ici : ceci ne s'applique qu'à un enfant capable de manifester sa faim.
Et notre expérience avec le Bébou en constitue un bon exemple : F. étant né prématuré et avec un retard de croissance, le petit monsieur était au départ trop fatigué pour demander, et pour manger tout court d'ailleurs.
Durant ses seize jours de néonat, il a donc droit au rythme à 8 repas espacés de pile-poil 3h préconisé par l'hopital (et vérifié scrupuleusement.... hummm, souvenirs émus du personnel médical déboulant dans notre chambre à 1h, 4h, 7h du matin pour s'assurer que nous - Monsieur Bout étant de la partie - étions bien à pied d'oeuvre...). Repas que nous faisons laborieusement rentrer dans le fiston par tous les moyens (chatouilles, change en cours de tétée, trimballage, chansons,....). Cela lui convient-il ? Aucune idée, notre mini-bébé est de toute manière trop épuisé pour pleurer pour quelque raison que ce soit.
Pour que ce que je développe ci-après soit valable, il faut donc s'être assuré au préalable que
- son enfant sait demander quand il a faim. Compétence dont l'acquisition prit plusieurs semaines pour F., et à peine 48h pour E.. Une fois que c'est acquis, c'est comme le vélo, ça ne se perd pas
(sauf cas pathologique vraiment vraiment etc)
- le bébé a bien à disposition de quoi assouvir sa faim :
- qu'un bébé demande plus souvent que toutes les 3h avant la montée de lait est parfaitement normal (les quantités disponibles ne suffisent pas encore à durer bien longtemps) et ô combien nécessaire (puisque ce sont ces demandes fréquentes qui stimulent la montée de lait).
- La fameuse règle des 3h ne peut donc être appliquée qu'une fois la montée de lait bien amorcée. Et je vous confirme qu'alors elle ne la stoppe pas: la vigueur/ longueur de la stimulation exercée par l'enfant durant les tétées suffit à maintenir la dynamique
B. L'estomac humain a besoin d'avoir droit à un cycle complet de digestion terminé par un temps de repos avant le repas suivant.
Ce besoin est valable aussi pour le nourrisson, et faute de le respecter, ledit estomac commence à faire souffrir son tout petit propriétaire, lequel
pleure alors, non de faim, mais de douleur.
Proposer une tétée à ce moment-là apporte alors bien un un soulagement, mais très provisoire (lié au plaisir de la tétée). En revanche cela expose le bébé à ressentir à nouveau les mêmes douleurs peu de temps plus tard, quand l'estomac, déjà bien occupé avec du lait partiellement digéré, se reprend une cargaison de lait frais à gérer en plus.
P. Lemoine souligne aussi l'importance de tétées suffisamment longues pour permettre au bébé d'accéder au lait gras de fin de sein, qui est le plus nourrissant et permet donc à l'enfant de ne pas avoir faim trop vite.
Il recommande donc de soulager les pleurs du nourrisson de toutes les manières possibles SAUF la tétée si la dernière remonte à moins de 3h : bref, respecter un écart minimum de 3h entre les tétées.
En résumé, des
recommandations assez à l'encontre des principes de l'allaitement à la demande tels qu'ils sont largement diffusés aujourd'hui.
Ayant lus ces derniers dans "l'Art de l'Allaitement Maternel" de la Leche League, ce sont eux que nous commençons par appliquer une fois de retour chez nous.
Moralité, au bout de quinze jours d'un rythme plutôt proche de celui préconisé par la Leche League, le bilan que nous dressons n'est pas brillant : tous les symptômes évoqués par P. Lemoine comme caractéristiques de repas trop rapprochés sont présents
- pleurs systématiques dès 1h - 1h30 après les repas,
- tétées courtes et hachées,
- régurgitations.
- Autre point symptomatique, ces inconforts, encore légers en début de journée, empirent ensuite et culminent en fin de soirée / nuit.
La joie.
Estimant la réussite des préceptes de LLL comme n'étant pas tout à fait indiscutable dans notre cas, nous décidons de mettre ceux de P. Lemoine à l'essai, au moins provisoirement.
Première journée difficile, à essayer de calmer un enfant visiblement furieux, sans avoir recours au sein si on était encore trop proche du repas précédent.
Mais dès les premières 24h, les premiers résultats se font sentir. Et au bout de 48h, nous avons un F. tout souriant, à l'aise.
C. Une fois passés les premiers jours/semaines, l'enfant est très vite capable de prendre de grosses quantités qui lui permettent d'espacer encore davantage ses repas.
Selon P. Lemoine toujours, ce rythme est préférable pour l'estomac pour qui il est moins fatigant de gérer de longs et gros cycles de digestion, mais peu nombreux, que d'en enchainer davantage à "charge partielle".
En conséquence un enfant peut donc se retrouver très rapidement à 4 repas (autour de l'âge de 2 mois).
Là encore, notre expérience nous a donné l'impression que P. Lemoine avait en fait rédigé le mode d'emploi de notre fils. Peut-être pas valable pour tout le monde, mais sans cela, nous aurions été bien démunis, nous!
Effectivement, dans les 3 jours qui suivirent le début de l'application de la règle des "3h mini", F. espaça de lui-même les tétées de 4h au minimum, puis davantage, instituant à l'âge de 4 semaines un rythme à 5 tétées, dont une seule de nuit (se calant sur un rythme - approximatif - 7h / 12h / 17h / 22 h / 3h)
A six semaines, il oublia de réclamer cette fameuse tétée de nuit.
Le lendemain aussi, le surlendemain, encore.
Au bout de 10 jours, il fallut nous rendre à l'évidence : nous étions détenteurs du Saint Graal, nous avions surmonté l'épreuve ultime, nous étions parents d'un
bébé qui fait ses nuits (!!!!!!!!).
Stressée à l'idée que mon bébé prématuré de 6 semaines (dont l'âge corrigé équivalait donc à 2 semaines), pesant à peine 3,2kg à l'époque, se contente des 4 repas que la disparition de la cinquième tétée lui laissait, j'avais tout de même commencé par re-rapprocher les tétées de jour afin d'en squizzer 5 dans le temps qui m'était imparti.
Résultat rapide et clair :
- F. mangeait mal,
- crachait plus (entretemps un joli reflux avait aussi été diagnostiqué),
- pleurait davantage,
- et n'avait jamais le temps d'avoir faim / j'étais souvent obligée de le réveiller moi-même pour le coller au sein.
Retour au rythme à 4 tétées de jour : retour du bébé plein d'appétit aux heures de repas, et plein de vie en dehors.
Bref, à 8 semaines, F. était à 4 tétées espacées de 5h, et la néonat commença par m'engueuler quand ils apprirent qu'il faisait ses nuits (j'avais prudemment omis de mentionner le nombre de tétées, me contentant d'évoquer "une diminution de leur fréquence" sans aller davantage dans les détails),
- "mais il est trop jeune et trop léger pour faire ses nuits, ah non ah non".
Jusqu'à ce qu'ils le posent sur la balance et enregistrent ainsi la plus belle prise de poids des dernières semaines.
- "bon ok, il a le droit de faire des nuits" (ben tiens).
En effet, espacer les tétées, pour les bébés dont c'est le besoin, favorise souvent une meilleure prise de poids puisque
- ils mangent avec plus d'appétit
- même si les quantités prises sur 24h sont au total inférieures à ce qu'elles seraient avec un nombre supérieur de repas, l'assimilation des aliments est meilleure (et accessoirement, si moins de régurgitations, davantage de nourriture reste dans le bébé).
D. Certains estomacs sont plus lents / sensibles que d'autres et peuvent, durablement ou pour un temps, requérir un rythme à 3 repas.
Les symptômes sont alors les mêmes que ceux déjà évoqués :
- peu d'appétit,
- l'heure "théorique" des repas arrive sans que l'enfant ne manifeste de faim,
- tétées perturbées voire raccourcies (ou rallongées parce qu'on insiste, on arrête, on y revient),
- régurgitations y compris proches de la tétée suivante.
En ce qui concerne le Bébou, tous ces symptômes réapparurent en effet au bout de quelques semaines de rythme à 4 tétées.
Je n'osais cependant sauter le pas des 3 tétées, quand le Bébou prit lui-même son sort en mains en s'endormant un soir dès 19h, sans se réveiller pour la tétée de 22h. En allant nous coucher, j'étais persuadée que je serais réveillée dans le courant de la nuit pour lui donner ce qui lui aurait manqué. Bernique.
C'est à 9h que le Bébou daigna réclamer un petit déjeuner. N'ayant plus le temps de caler ses 4 tétées espacées de 5h avec un petit déjeuner pris aussi tardivement, je pris le pari d'attendre que F. réclame pour lui proposer sa tétée de "midi". Chouinements à 13h.... aaaah ? Les 5 minutes que je mis à me décider pour dégainer le sein suffirent à me montrer que ce n'était pas nécessaire : dans cet intervalle le Bébou s'était tout simplement endormi, les chouinements étaient l'expression de sa fatigue. Le réveil le vit frais, dispos, et affamé : à 15h.
Et voilà comment le Bébou passa à un rythme à 3 tétées espacées de 6h : petit déj vers 8 ou 9h selon les jours, puis déj autour de 14h30, et diner vers 20h. Et là encore, ce changement fut salué par un rebond dans sa courbe de poids.
E. Considérations variées / La variante à 3 repas : l'opportunité d'un allaitement à la demande... revisité.
Pour chacun de mes deux enfants, être ouverte à la possibilité des 3 tétées m'a permis d'allaiter véritablement "à la demande", ou en tous cas "selon le besoin" de mon enfant, en m'empêchant de répondre par le sein à un besoin autre (câlin, dodo, ennui, décharge émotionnelle).
La Bébounette a bénéficié de l'expérience que nous avions faite avec son frère dans le sens où elle n'a pas eu besoin de passer par l'inconfort d'un estomac stressé puisque nous avons pris garde de lui permettre ces 3h de repos sitôt la montée de lait amorcée (à l'exception de certaines nuits, où nous ne sentions pas toujours assez en forme pour faire diversion longtemps et réduisions cet écart à 2h si la miss insistait).
Dès une semaine de vie, elle espaçait déjà spontanément ses tétées de 4h voire plus, faisait une nuit sur deux dès l'âge de 15 jours, quasi toutes ses nuits vers un mois, et s'est calée sur un rythme à 4 repas dès 5 ou 6 semaines.
Je ne pars pas du principe que le rythme à 3 tétées concerne la majorité des bébés, mais qu'il constitue une possibilité supplémentaire, une souplesse qu'il est bon d'avoir en tête.
J'ai été un peu désarçonnée de voir la Bébounette emprunter le même chemin que le Bébou vers la fin de son 2ème mois. Mais à sa manière, elle aussi a su être aussi claire que son frère : après une journée passée à hésiter entre les deux solutions, je l'ai couchée le soir en lui disant "si tu veux me faire comprendre clairement que tu n'as besoin que de 3 repas, réveille toi après 9h demain". Réveil : 10h30. Message reçu, merci Bébounette;-).
Par ailleurs, notre expérience nous a montré que le besoin de l'enfant peut varier dans le temps. Le rythme à 3 tétées peut bien correspondre au besoin de l'enfant à un moment donné, moins à un autre.
Ainsi, au moment de la diversification, le Bébou a clairement manifesté le besoin de repas plus fréquents, ce que j'attribue aux bouleversements opérés au niveau de l'équilibre digestif. Et la Bébounette fit de même.
Le Bébou a souhaité revenir à son rythme à 3 repas 2 ou 3 mois plus tard, pour la Bébounette la parenthèse 4 repas n'aura duré qu'une dizaine de jours.
De mon expérience de maman et de maman-ayant-partagé-avec-d'autres mamans, les bébés à reflux sont particulièrement susceptibles de tirer avantage d'un tel rythme (même si, en tous cas pour les miens, cela ne suffit pas à l'éradiquer, et donc n'a pas permis d'éviter le recours au Gaviscon, mais à tout le moins de l'alléger).
Enfin, dans tous les cas, si vous pensez que ce rythme pourrait aider votre bébé,je vous conseillerais de
tester ce rythme discrétos, sans en parler autour de vous, et de ne faire votre coming-out qu'une fois que vous serez confiante dans le fait que c'est bien ce qui convient à votre enfant. Un peu comme l'IEF,
les réactions peuvent être assez déroutantes et insécuriser un peu la maman qui se hasarde à sortir des sentiers battus...
(non je ne fais pas ça pour "économiser du lait sur le dos de mon bébé" - sic)
Si vous avez des questions, allez-y, et si vous avez connu une expérience analogue, idem !