Devenir parent chamboule toute notre vie.
Ça chamboule notamment nos priorités. Nous qui n'avions que nous-mêmes sur qui veiller, nous voici totalement en charge d'un petit être entièrement dépendant de notre bon vouloir, et au fonctionnement souvent contraire audit bon vouloir :
- Ça ne dort pas la nuit quand je ne rêve que de ça ?!
- Ça dort ou crie le jour quand je voudrais un peu faire autre chose que bercer ou chuchoter ?
- Ça me bave, crache et vomit dessus sans aucune considération pour ma dignité, la sensibilité de mon nez et le fait qu'il va falloir que je traverse la ville ainsi ?
- Ça produit des déjections à l'aspect appétissant et c'est à moi de mettre les mains dedans ?
- Ça crie quand je voudrais du calme et ça onomatopète quand je rêverais d'une conversation suivie et stimulante intellectuellement...
La liste est longue, la liste est interminable, c'est la liste des petites et grandes facilités / libertés auxquelles l'accession au rang de "parent" vient mettre un terme.
Devenir parent bouleverse notre vie, nos priorités, et oblige à redéfinir nos limites, nos attentes. Devenir parent implique incontestablement de nombreux sacrifices. Quand j'y repense, maintenant, je suis ébahie de toute cette MASSE de temps libre que nous avions avant ! Comment avons-nous pu y renoncer ainsi ? Il y a un petit côté masochiste à persister à se reproduire ;-)
Mais le sujet du jour n'est pas : quelle mouche nous pique à vouloir devenir parents.
Le sujet du jour concerne l'après : bébé est là, nous sommes parents, plus moyen de revenir en arrière, alors : que faire ?
Le sujet du jour est donc :
si être parent implique des sacrifices, (où) faut-il tracer la ligne ?
Le don de soi qu'implique le fait d'être parent doit-il être mesuré, doit-il avoir des limites ?
N'est-ce pas alors se donner à moitié, et donc pas vraiment un don ?
Bref, quand on est parent, veiller sur ses propres besoins, et demander à ses enfants de les respecter, est-ce faisable, est-ce bon, ou n'est-ce qu'un nouvel avatar de ce bon vieil égoïsme qui sommeille en chacun de nous ?
1. Une priorité: subvenir aux besoins de nos enfants
Nos enfants étant dépendants de nous, vulnérables, et les conséquence de besoins non assouvis pouvant être graves, notre priorité doit être de subvenir à leurs besoins.
Être parent nous bascule automatiquement dans la logique du don (si tout va bien) : on ne raisonne plus en termes d'échange de bons procédés, y a pas de "OK je te change ta couche mais alors on est d'accord qu'après tu dors 4h d'affilée, et demain tu fais la vaisselle" (enfin, si, celle-là on l'a tous tentée, hein, c'est ZE note d'humour suprême à 4h du mat'). Non. On donne, on donne, on donne, on se donne, pour subvenir aux besoins de ce minuscule machin.
A ce titre, quand il y a, comme souvent, conflits de besoins, nous avons comme solutions
- différer la satisfaction de notre besoin
- déléguer à quelqu'un d'autre la satisfaction du besoin de l'enfant
- trouver des substituts, du soutien extérieur, des compensations pour survivre tout de même
Ainsi, si je prends l'exemple du nourrisson qui pleure la nuit, cela peut donner
- dormir en journée
- demander au papa de le bercer à notre place si c'est juste un besoin de câlins et que les câlins paternels rassurent efficacement le bébé
- s'appuyer sur une bonne copine qui vient donner un coup de main une journée pour assumer à notre place une corvée indispensable (linge, courses, ménage) pendant que nous casons une sieste de rattrapage ; la même copine qui écoute notre épuisement, compatit, et nous fait une tisane ou un massage.
Il s'agit de voir cette période comme transitoire, et donc, à la fois,
- d'admettre que notre besoin ne sera probablement pas comblé comme il pouvait l'être avant l'irruption de ces 3 kg d'amour dans nos vies, et
- d'aller chercher à l'extérieur de l'enfant (expression maladroite... sans faire de demande à l'enfant ?) de quoi combler au moins un tout petit peu ses besoins personnels dans l'intervalle.
C'est une première étape très importante, et qui déjà, peut sembler contradictoire avec cette logique du don total.
Mais pourtant, si on regarde de plus près, veiller sur ses besoins, c'est la condition au don total!
- il peut s'agir (il s'agit souvent !) d'une question de survie : j'aime beaucoup l'expression "faire le deuxième noyé". Je trouve aussi très parlante l'image des consignes de sécurité données dans les avions : avant de s'occuper du casque à oxygène de son enfant, on doit d'abord s'en poser un. Effectivement : de quelle utilité serons-nous à notre enfant une fois asphyxiés ?
De la même manière, le burn-out maternel, qui se fait plus fréquent, vient nous rappeler le risque qu'il y a à oublier nos besoins les plus élémentaires. Se donner, ce n'est pas se perdre! Comment se donner chaque jour, durant de nombreuses années, si on s'épuise dès les premiers temps ? Qui veut aller loin, ménage sa monture...
- même sans en arriver au burn-out: pour donner, il faut recevoir. Être un parent bien dans ses pompes, un minimum reposé, un minimum heureux dans sa vie, cela ne bénéficie pas qu'à nous, au contraire, c'est très bénéfique pour notre enfant ! On est plus détendu, moins sur les nerfs, plus souriant, plus entreprenant,... Par exemple, quand je suis reposée, je me prends bien davantage au jeu avec les Bébous. Je suis plus capable de régresser, de m'amuser vraiment avec eux, que quand je suis fatiguée, ne rêve que d'une chose,
m'allonger sur le tapis et faire la mortebouger le moins possible, et ne joue avec eux que "parce qu'il faut", ou "pour les occuper".
Bref, le don total, c'est chouette, encore faut-il encore avoir des choses à donner...
Mais justement, si cette période est sensée être transitoire, c'est bien parce que les besoins de notre enfant évoluent.
2. Les besoins de mon enfant évoluent
Et cela, à plusieurs titres
- dans l'immédiateté de la réponse qui doit être apportée :
- la faim d'un nourrisson doit être calmée le plus vite possible, un enfant plus âgé devient capable de comprendre qu'il faudra attendre quelques minutes ou davantage pour manger;
- un bambin tout juste sorti des couches a besoin d'une prompte réponse à son "pipiiii !", un enfant plus âgé devient capable de maîtriser son envie le temps qu'on termine une petite course
- dans leur statut : certaines choses qui peuvent être du besoin au départ basculent vers l'envie
- en eux-mêmes : certains apparaissent, d'autres disparaissent, ou le moyen de les satisfaire évolue
- dans leur ordre de priorité : d'autres besoins deviennent plus importants pour l'enfant
Concernant ce dernier point, j'ai
beaucoup aimé l'exemple cité par Céline Alvarez lors de la conférence à
laquelle j'ai eu la chance d'assister il y a quelques semaines.
Elle
évoquait l'acharnement de certains tout-petits à se nourrir eux-mêmes
avec leur cuiller, déployant des efforts considérables pour attraper
l'aliment visé, le transporter jusqu'à la bouche, viser la bouche...
rater...et recommencer. Cet exemple illustre bien la manière dont
certains besoins de l'enfant peuvent prendre le pas sur d'autres : ce
n'est pas forcément faute d'avoir faim, mais à l'instant T, le besoin
d'apprendre de l'enfant est supérieur à son besoin de manger, pourtant
bien réel lui aussi.
Et en fait, moi, en réfléchissant
sur le présent billet, j'ai réalisé que c'est la lecture de Faber &
Mazlish, et de Haïm Ginott leur inspirateur, qui m'a permis de sortir un
peu de la dichotomie entre mes limites et les besoins de mon enfant.
C'est par leur biais que j'ai perçu (mais peu à peu, c'est-à-dire que
je l'ai lu, ça a un peu fait tilt sur le coup, mais c'est surtout dans
le temps que je l'ai vraiment intégré) que mes limites, mon enfant en a
besoin.
Pour le reformuler du point de vue de la problématique qui nous occupe aujourd'hui: au fond,
mes limites ne sont pas un obstacle au don de moi à
mon enfant,
elles sont un don à faire à mon enfant.
La suite de ce
billet reprendra donc quelques citations de l'excellent chapitre 11 de
"Parents Épanouis, Enfants Épanouis" de Faber & Mazlish, chapitre dont je ne saurais trop
vous recommander la lecture intégrale. Personnellement, je suis ravie
que l'écriture de ce billet m'ait incitée à y replonger mon joli nez
(c'est cool d'avoir mon blog à moi, je peux m'y décerner des compliments
comme ça, paf, au détour d'une phrase). Ce chapitre est une pure
merveille et honnêtement, tout ce que j'écrirai c'est de la gnognotte à côté. Mais ne partez pas tout
de suite quand même / revenez lire la deuxième partie, ça me vexerait sinon.
Chouette réflexion, j'attends la suite avec impatience !
RépondreSupprimer"Quand j'y repense, maintenant, je suis ébahie de toute cette MASSE de temps libre que nous avions avant ! Comment avons-nous pu y renoncer ainsi ? Il y a un petit côté masochiste à persister à se reproduire ;-)"
RépondreSupprimerQd je repense au temps libre que j'avais même avec un puis deux enfants, je me dis que je suis folle de continuer ;-)
Souhaiterais-tu me faire peur ? :D
SupprimerContente que ça te plaise, le deuxième volet arrive demain, je planche encore sur le 3ème
Bonjour Gwen
RépondreSupprimerJ'ai très apprécié ton article.
Ce côté dichotomique : je veux du temps et je n'en ai plus, est tellement parlant.
Il est vrai que c'est un don réel que l'on fait quand on a un enfant.
Il est impossible d'attendre un retour quantifiable.
Et l'attendre serait contraire à faire un enfant.
En lisant ton article, je me faisais la réflexion pour l'entreprise.
L'entrepreneur qui donne beaucoup à ses salariés, doit-il attendre quelque chose en retour de ses salariés ? Ou bien est-ce un don réel ?
Au plaisir d'échanger
Evan