jeudi 3 août 2017

Les explications : un peu, beaucoup, à la folie ?

Je rebondis sur la question posée par ESLT dans la Hotline pour en faire un billet à part entière.
"On dit toujours que la communication est super importante, mais dans mes lectures, il revient assez souvent que, pour les plus petits en tout cas, il vaut mieux agir que de parler ou alors parler avec un seul mot (comme tu nous en a déjà parle aussi). Du coup je suis un peu perdue: quand expliquer et quand ne pas parler? Avez-vous des exemples?"

Je traiterai la question en 3 points.

1. Je commence déjà par jouer les flemmardes et inciter à aller (re)lire l'extraordinaire billet d'Hélène, notamment le premier paragraphe sur les choix, à partir de
La bienveillance ne nous oblige pas à tout négocier, tout marchander avec nos enfants.
On est pas forcé non plus de tout justifier auprès de nos enfants....
Mon résumé perso serait : Tout expliquer, ça peut nuire à la confiance, ça peut créer du conflit là où il n'y en a pas. Ben oui, si la personne se sent obligée de justifier, hum, est-elle si sûre de son coup, n'y aurait-il pas anguille sous roche, ne serait-on pas en train d'essayer de m'enfumer ?
Moi j'dis "méf"  ! (citation émue tiré d'un de mes cours de management en Master...)


2. Ensuite, je dirais qu'il faut expliquer quand c'est nécessaire et que l'enfant est capable de tirer bénéfice des explications

Dans de nombreux cas en effet, l'enfant est incapable de tirer bénéfice des explications, qui font appel à la sphère rationnelle

  • Quand l'appel au rationnel n'est pas possible
    • Typiquement, quand l'enfant est dans un état émotionnel agité, il n'est pas disponible pour du rationnel.
C'est pourquoi Jane Nelsen et tant d'autres auteurs de parentalité positive inciteront à d'abord se reconnecter avec l'enfant, calmer la tempête émotionnelle, puis ensuite seulement, entrer dans des démarches faisant davantage appel au rationnel (choix, résolution de problèmes, etc).

Au contraire, si on essaie de raisonner un enfant quand ce sont ses émotions qui parlent, le risque de doper la crise est fort! Ce n'est pas agréable d'être raisonné quand on souffre. C'est là toute la force de l'accueil des sentiments. 
A titre d'exemple, c'est pour cela qu'à une demande véhémente "je veux encore un chocolat"
une explication en mode "tu en as déjà eu 4, le chocolat c'est difficile à digérer, tu vas avoir mal au ventre" risque de passer beaucoup moins bien qu'un simple accueil des sentiments "ah oui ces chocolats sont délicieux, c'est vraiment dommage de ne pas pouvoir engloutir toute la boîte quand on en aurait tellement envie"
Je dis "risque", parce que pour l'exemple du chocolat, tout dépend de l'intensité du désir, et aussi des explications données (sur ce dernier point, cf plus bas pour approfondir)

    • Idem quand l'enfant est fatigué 
De la même manière qu'un enfant fatigué peut se retrouver dépassé par l'effort qu'on lui demande en lui proposant un choix, et peut avoir besoin qu'on décide pour lui, de la même manière l'effort intellectuel d'assimilation d'une explication peut être trop pour lui. 

  • Quand l'appel au rationnel n'est pas souhaitable
C'est le cas par exemple de l'histoire du coucher à la Jane Nelsen
Juste après mon billet, S comme C a publié un superbe billet sur la force du silence, et un des points qu'elle mentionne s'applique aussi très bien à cette histoire du coucher : au moment où l'enfant doit lâcher prise et détendre son cerveau pour sombrer dans le sommeil, stimuler ledit cerveau avec une avalanche de mots opère à l'inverse de ce qui est souhaité !

  • Quand l'appel au rationnel prend trop de temps
Évidemment, quand l'enfant va se faire écraser, on agit, sans attendre que les explications atteignent leur but.... quitte à compléter ensuite!

  • Quand l'appel au rationnel est inutile
Même si les enfants oublient et que répéter une explication n'est pas du tout inutile, il y a de nombreux cas où tout de même l'enfant "sait" ce qu'on va lui dire. 
Le problème n'est donc pas là : même si il peut se traduire par une remise en cause / contestation des explications, ce qui peut nous inciter à rester sur ce plan-là, nos efforts resteront vains et ne feront que nous plonger dans de longs débats stériles et épuisants, si le souci est ailleurs
    • Il sait tout bêtement pourquoi il doit le faire mais a oublié de le faire car d'autres choses plus passionnantes mobilisent son cerveau ? 
C'est là où l'habileté "le dire en un mot" prend tout son sens : le mot vient juste réveiller le cerveau, qui retrouve tout seul ce qu'il doit faire et pourquoi.
    • Il sait pertinemment ce qu'il doit faire mais n'en fait rien ? 
Il peut y avoir un souci de moyens, et un besoin d'apprentissage: je ne dois pas taper, je sais pourquoi, mais je ne sais pas entrer en contact autrement, il va falloir me montrer, montrer, et remontrer, comment dire bonjour, comment venir proposer un jeu ou un jouet, comment caresser...


3. Des explications efficaces - quand efficacité s'épèle B-R-I-E-V-E-T-E

  • un mot, ou juste quelques mots, valent souvent mieux qu'un long discours.
Haïm Ginott, Jane Nelsen et beaucoup d'autres expliquent bien que confronté à un long discours, un éloquent sermon, le cerveau de l'enfant se met, dans le meilleur des cas, en mode "off", voire en opposition
Il vaut donc mieux adopter l'habileté "donner des renseignements" ou "énoncer la règle": la deuxième est plus directive que la seconde, mais fournit pourtant une explication : elle explique comment le monde fonctionne, quelles règles le régissent. 
Dans les deux cas, on est incité à la brièveté : on privilégiera "on ôte ses bottes en rentrant, pour ne pas salir le parquet" à "on ôte les bottes,car il pleuvait donc le sol était humide et la boue salit le sol et je n'ai pas envie de nettoyer car je suis fatiguée"
  • Rester bref ... et centré sur un seul sujet
J'ai remarqué par exemple que quand il y a plusieurs raisons à notre décision (on quitte le parc parce que tu es agité et ne peux plus jouer correctement, en plus il fait froid, et c'est bientôt l'heure du bain), les mentionner toutes multiplie les chances de crise. 
Il vaut mieux en choisir une, la dire en quelques mots, et point. 
Un peu comme si le fait que ces raisons sont plusieurs affaiblissait chacune d'elle (= à elle toute seule elle ne justifie pas l'action entreprise, on est obligé d'aller lui chercher du renfort)

  • Priviléger autant que possible des formulations en positif
Plutôt que de répéter que "les chats n'aiment pas être tapés", préciser que "les chats aiment qu'on les caresse doucement" : le comportement à adopter, sous-tendu par l'explication, est plus facilement visualisé par l'enfant, quand la négation est absente.

  • On trouve l'explication incomplète ?
On aurait aimé profiter de cette occasion unique de transmettre nos valeurs, nos connaissances? Consolons-nous: elle n'est pas si unique que ça.
La base de la vie d'un enfant et de l'éducation étant la répétition, nous aurons beaucoup d'occasions de répéter notre explication / renseignement. Rien ne nous empêche de le faire sous un angle un peu différent à chaque fois, en gardant toujours le corps du message mais en l'enrichissant de temps en temps d'une information supplémentaire / en précisant peu à peu. 
Je fais un aparté mais c'est par exemple ce que je fais à propos des questions sur la sexualité : je réponds toujours des choses vraies, mais je précise par toooout petits bouts, de temps en temps, à mesure qu'il me semble que F. a intégré certains des renseignements déjà donnés et est prêt pour la bribe d'information supplémentaire que je vais rajouter.


Enfin, dernier point en guise de conclusion: cela m'a pas mal aidée de réaliser que mes explications n'ont pas pour but de convaincre mon enfant : c'est ce qui m'aide à rester brève. 
Oui, 
  • j'ai des bonnes raisons de vouloir telle ou telle chose
  • mais mon enfant a tout à fait le droit de les trouver pourries, et de manifester bruyamment son désaccord. 
Je n'ai donc pas à développer un argumentaire digne des meilleurs avocats, jusqu'à avoir gain de cause. Une fois mon explication brève donnée, je peux passer à l'étape accueil des sentiments (frustration, déception, colère, tristesse, en l’occurrence...).

Voilà pour les éléments de réponse qui me sont venus, ESLT.
Si j'ai oublié des aspects, que mon valeureux lectorat n'hésite pas à compléter et enrichir en commentaires ;-)


9 commentaires:

  1. En effet, je pense qu'en France on parle beaucoup aux enfants, l'héritage Dolto, et parfois plus que nécessaire.
    Je me souviens que Nelsen commence son livre "positive discipline" en comparant la mère autoritaire à la mère qui suit la discipline positive dans un exemple où l'enfant ne veut pas prendre son petit déjeuner.La mère autoritaire est celle qui parle sans cesse, essaie de convaincre son enfant, lui propose 3 plats différents, finit par râler et finalement lui sert à manger 1h après quand il a faim en lui disant "je t'avais prévenu ". L'autre mère, dit "tu ne veux pas manger, ok, mais tu n'auras rien à manger avant le déjeuner ". Point barre.

    C'est drôle, car en fait, je pense que beaucoup de françaises verront la deuxième mère comme la mère autoritaire et la première, qui parle trop, comme la mère à l'écoute de son enfant, discipline positive etc.
    Je ne suis pas fane de Nelsen, mais sur cet exemple, je suis en total accord avec elle.

    Les gens qui parlent trop, nous en connaissons tous. Et nous savons donc bien qu'on n'écoute pas quelqu'un qui sur communique. J'ai plusieurs dames ainsi dans mon entourage, leurs enfants sont devenus soit comme elles, soit taiseux. Dans les deux cas, ils écoutent peu les autres...l'habitude peut-être.

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    1. Ah oui Swanilda, en effet, c'était exactement la réflexion que je m'étais faite à la lecture du même passage de Jane Nelsen.

      Souvent j'observe comment des adultes s'efforcent d'expliquer par bienveillance, ,mais en fait on en arrive au résultat inverse : non seulement l'enfant se butte, mais l'adulte en a ras-la-casquette et finit par s'énerver car tout au long de ses explications, la seule chose qui progresse, c'est son sentiment d'impuissance.

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  2. Bonjour Gwen

    Je te remercie pour cet aticle.

    C'est un vaste sujet : la volonté d'expliquer à un enfant, et la volonté d'amener des règles.

    Je pense que le choix entre justification et explication est un jugement, et non une vérité absolue.
    Si tu expliques, c'est pour que l'autre comprenne.
    Si la personne n'a pas confiance en elle-même ou a un apriori sur la personne d'en face, elle le vivra avec cette impression de justification.

    Quand tu as un enfant, si tu le fais avec assurance, si tu expliques bien : au début il comprendra pas, mais passé quelques années, il sera friand de ces explications, que d'autres avaient jugés comme des jugements.

    Savoir dit non, stop, est important, donner des explications l'est tout autant.

    Enfin, je pense qu'il s'agit aussi d'un critère suivant l'âge de l'enfant.
    Un enfant de un an ne comprend pas les mêmes mots et le même nombre de mots.
    Et pourtant, cela va l'aider à apprendre de nouveaux mots.


    Au plaisir
    Evan

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    1. Merci Evan
      tout à fait d'accord avec toi, et loin de moi l'idée de vouloir énoncer des vérités absolues: il existe tant de cas dans lesquels des explications sont appropriés.
      Mais quand je lis ou j'entends des parents dire "j'ai beau tout expliquer...", je me dis qu'il y a aussi un besoin de tempérer le recours aux explications, ou plutôt de comprendre pourquoi et comment il vaut mieux parfois y renoncer.
      A mon enfant de 1 an qui a réussi à se saisir d'un couteau de cuisine, je commente "ça coupe fort"; c'est une explication. Mais je n'attends pas de cette explication qu'elle porte du fruit directement, là. Je dis "ça coupe fort" mais je joins le geste à la parole en lui ôtant le couteau des mains.
      Et si pleurs de l'enfant, je sais que je n'ai pas besoin d'insister dans mes explications "mais j'étais obligée, tu sais, ça coupe fort et les doigts ça se recolle pas" en espérant faire cesser les pleurs ainsi; un "tu es déçue, tu voulais jouer avec ce couteau, trouvons quelque chose de pas dangereux pour t'amuser" sera souvent mieux adapté.

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  3. Et suspendre le temps9 août 2017 à 11:38

    Merci merci pour ce super article Gwen! Je suis tres honoree que ma question ait fait l'objet d'un article en soi ;p
    C'est hyper clair, comme a ton habitude! Evidemment, comme le souligne les commentaires precedents, il faut toujours voir au cas par cas, mais je pense que les grandes lignes sont la!
    En tout cas, c'est plus clair dans ma tete et c'est bien ce qui compte ;)

    Merci aussi pour cet article de Mamandala que j'avais deja lu a l'epoque, mais une relecture n'est jamais de trop.
    Et un point important aussi, comme tu le dis dans ta reponse au commentaire ci-dessus, c'est qu'une explication n'a pas besoin d'etre longue non plus : "ca coupe" est amplement suffisant dans le cas enonce, pas besoin d'un long monologue de 10 minutes!

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    1. Oui c'est tout à fait ca ! Ravie que ça ait répondu à peu près à ta demande😉

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  4. Pour compléter très brièvement...
    On a tendance à croire que communiquer = parler et uniquement parler. Or communiquer se fait aussi par les actes, les regards, le toucher. Je ne sais plus qui disait "la parole est d'argent, le silence est d'or" ainsi que "tout est langage".
    Servane

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  5. Je complète encore un peu. Lorsqu'on veut se lancer dans des explications, on peut se demander quel est notre but : nous justifier, expliquer, convaincre etc.
    En fait, dans notre rôle (travail) de parents, il ne faut pas confondre sensibilité et sensiblerie !
    Dans l'exemple du couteau, à ma grande je pourrais dire si elle n'est pas contente : lorsque c'est dangereux, les mamans disent non, c'est leur travail de maman (je ne me justifie pas, en fait j'énonce une règle plus générale).
    Servane

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    1. J'aime beaucoup tes compléments Vanou.
      Effectivement, une explication peut vite dégénérer en justification / attente de validation de la part de l'enfant.
      Et je te pique ta phrase sur "c'est leur travail de maman"!

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