lundi 12 décembre 2022

Parentalité positive = manipulation ?

Décidément, la parentalité positive ne manque pas de détracteurs

  • d'un côté, elle est vue comme une espèce de lubie laxiste / tout laisser faire à son enfant
  • d'un autre côté, elle est parfois présentée comme une hypocrisie manipulatrice. Parce que vouloir amener notre enfant à faire quelque chose qu'il n'avait pas prévu au départ, ce serait mal, contraire à sa liberté, bref, une immonde manipulation, l'exercice d'un pouvoir déguisé.

Ennemi classique sur ce plan-là, la fameuse technique du faux-choix =  contourner la résistance de l'enfant à enfiler un pantalon, par un choix subtil du style "Tu veux mettre le pantalon rouge ou le pantalon gris ?". Cette astuce occupe une place de ... choix (huhuhu) dans les articles / formations éducation aux titres accrocheurs du style "se faire obéir sans crier", et ce n'est pas un hasard.


Prenons donc cette fameuse "technique" en exemple de ce que peut être, ou pas, notre rôle de parent.

Cette fameuse technique du faux-choix illustre déjà très bien ce que je développais dans mon sublime billet sur l'arnaque qu'est la parentalité positive

  • Oui, la parentalité positive, réduite à un ensemble de techniques destinées à amener nos enfants à faire ce que nous voulons qu'ils fassent, est vouée à l'échec.
  • Et oui, si on voit la parentalité positive comme une mouvance d'éducation qui vise à amener nos enfants à faire ce que nous voulons, mais de manière douce, nous ne sommes pas sortis de l'auberge, puisque nous nous heurterons fatalement au fait que
    • nos enfants s'obstinent quand même souvent à ne pas faire ce que nous voulons, sales rebelles, et ne manqueront pas de nous montrer assez vite qu'ils ne seront pas dupes plus longtemps de nos petits subterfuges
    • nous-mêmes nous n'arrivons pas à parvenir à nos fins en maintenant en permanence une bulle de douceur, de paillettes et de pets de licornes dans nos interactions avec notre charmante progéniture. Ooooouuuuuhhhh, paaas bieeeen.


Du coup, je vous le dis tout net, chez moi, je me suis définitivement séparée de ces 2 attentes

  • non, mes enfants ne feront pas exactement ce que je veux qu'ils fassent et je ne mesure pas ma compétence parentale à ma capacité à leur faire faire des trucs
  • non, mon action parentale et notamment le développement de la responsabilité de mes enfants ne se fera pas toujours dans la joie et la bonne humeur, et donc ma compétence parentale n'est pas immédiatement à nier si hélas le ton de voix, soit de la Gwen, soit de sa progéniture, s'élève. Et pourquoi "soit", d'ailleurs. C'est pas forcément du "ou", hein, disons-le, ça peut être du "et". Sur ce plan-là je me dis que notre petit H., du fait de sa position de 3ème en arrière-garde, eh bien, euh, il développe son accoutumance au bruit. Cf ce que je disais sur le thème de la contribution de ma progéniture aux tâches ménagères, par exemple.


Oui, un de mes buts premiers est de faire de mes enfants des êtres libres. Mais libres de quoi ? Libres de toute contrainte ? Hum, c'est mort. La vie est pleine de contraintes. Si je m'efforce de prétendre qu'il en est autrement

  1. Je vais m'épuiser à gommer toutes les contraintes existant, et c'est l'amer constat que font tant de parents pleins de bonne volonté. Le souci de rendre leurs enfants heureux en les libérant d'un maximum de contraintes les conduit à ployer sous le poids des contraintes qu'ils endossent, eux, de ce fait. Et tant de parents pleins de bonnes intentions, mais hélas biberonnés à une version biaisée de la parentalité positive, crament / se dégoutent du truc en s'évertuant à cela.
  2. Je vais faire grandir mon enfant dans un mensonge gigantesque : n'ayant connu de la vie qu'une version très édulcorée, la confrontation à la réalité risque d'être costaud.
Attention, il ne s'agit pas de reprendre ici l'argument qui est souvent donné par les détracteurs de la parentalité positive en mode 

"Le monde est méchant, autant qu'il y soit confronté direct"

  • Le monde n'est par essence ni méchant, ni gentil, il est ce que les hommes qui l'habitent en font, au quotidien, à chaque instant : il peut être l'un ou l'autre selon les actes que chacun de nous pose. Il n'est donc pas de notre responsabilité d'apprendre à nos enfants à composer avec la méchanceté, mais de notre responsabilité d'apprendre à nos enfants à agir de manière à ce que ce monde soit, au quotidien, un peu meilleur du fait de notre action.  
  • En revanche, oui, le monde est par essence plein de contraintes, et nécessite des efforts pour la gérer: par essence on ne peut y faire ce qu'on veut. C'est pourquoi, apprendre à composer avec ça, avec la contrainte, est sacrément utile, et gommer la contrainte, c'est empêcher nos enfants de faire cet apprentissage.

Et comme je l'écrivais il y a déjà très longtemps sur le fait de "tout donner" à son enfant, les contraintes les plus importantes que toute personne doit intégrer, sont celles liées aux limites personnelles des personnes qui l'environnent. Apprendre à respecter ces limites ( = celles de ses voisins), apprendre à respecter ses limites (les siennes), apprendre à les exprimer respectueusement. 


Donc, si notre boulot devient d'apprendre à notre enfant à gérer la contrainte,... ça change pas mal de choses en éducation.

  • On peut rester sur une vision traditionnelle de l'éducation : paf, contrainte, vas-y, hop, ça fait mal, ben c'est comme ça et te plains pas. Voire je t'en rajoute pour que tu t'y entraines
Là, personnellement, je fais tout de suite le lien avec mes billets récents sur le miracle qui m'a fait me mettre au sport

    • Si on m'avait balancé direct plein de sport dans la figure (ou plutôt : avant, toute ma vie, quand on m'a contrainte d'office à une bonne dose de sport...), ça n'aurait jamais fonctionné. 
    • Mais les contraintes liées au sport ont été aménagées, adoucies, le niveau d'exigence a monté très progressivement, j'ai "déguisé" la contrainte, introduit des éléments fun, je me suis musclée, ma volonté s'est musclée, et de "couch potato" invétérée, comme disent les anglo-saxons (pomme de terre de canapé pour les non-anglophones; métaphore éloquente n'est-ce pas ? ^^) je suis maintenant en lice pour les JO. (si si, jvouzassur).


Eh bien la contrainte, c'est pareil. Comparons-la à un mur. 

Le mur est là, on ne le nie pas, mais apprendre à quelqu'un à le gérer, ce n'est pas forcément le prendre par les épaules et lui cogner la tête dedans en mode "eh, oui, tu vois, y a un mur, c'est dur, c'est froid, c'est comme ça habitue-toi, et maintenant, escalade-le à la force de tes poignets. Et plus vite que ça !".

Ce mur, je peux 

  • l'aménager : par exemple, poser une échelle, ou même, construire un escalier qui y est adossé, et gravir peu à peu chaque marche, une à la fois, 
  • le contourner : arriver au même objectif mais par un autre chemin; y compris creuser en dessous
  • l'amortir : plus facile de passer au-dessus d'un mur sur lequel il y a un coussin, plutôt que m'érafler à ses arêtes tranchantes ; 
  • Le décorer : ça peut être plus fun à grimper, et même me filer des repères sympas (par exemple mettre de mini cibles là où je devrais poser mes mains). Dans tous les cas mon mur en Technicolor m'effraiera moins.
  • je peux muscler les poignets et les chevilles de mon enfant par de petits exercices avant de l'envoyer escalader 2 mètres de mur...;

Et en faisant tout cela, je peux montrer à l'enfant ce que je suis en train de faire, c'est-à-dire lui permettre de développer ses propres stratégies de gestion de la contrainte. 

C'est d'ailleurs avec cela qu'il coopère ! 

Un exemple très parlant est ce que je vous racontais sur ce qui a permis qu'E. range enfiiiiiiin sa chambre. 

En disant à E. que je ne voulais PAS qu'elle range sa chambre, l'ai-je manipulée de manière immonde ? Non, j'ai analysé la composition du mur et repéré que celui-ci était composé d'au moins 2 trucs : 

  • la pénibilité de la tâche de rangement, 
  • et l'embêtement lié au fait de devoir obéir, c'est-à-dire, un besoin d'autonomie. 
J'ai donc adouci le mur en ôtant, du rangement de chambre, l'élément "j'obéis donc je m'assieds sur mon besoin d'autonomie". Au contraire, ranger sa chambre est devenu une manière d'affirmer son autonomie, puisque ça se fait "contre" ma demande.

E. l'a très bien repéré, et s'en rend encore régulièrement complice en venant me solliciter, les fois où ranger sa chambre lui semble vraiment trop relou : "eh, Maman, tu ne veux pas que je range ma chambre, n'est-ce pas ?". Elle a admis l'existence de la contrainte, constate que franchement elle a du mal à s'y confronter, a repéré une ressource qui lui facilite la tâche, et vient donc la mobiliser. Elle s'auto-manipule. 

Ce processus de repérage des ressources qui nous aident à gérer une contrainte est exactement le principe du billet que j'ai moi-même écrit sur mes stratégies de gestion de mon trouble de l'attention. Je m'automanipule parfois à mettre de la musique sur une tâche rébarbative. Bravo moi !


Avec cela, oui, le pouvoir est toujours présent dans la relation. Tant mieux !

Car contrairement à ce qu'on peut craindre, ce n'est pas un problème . Le pouvoir n'est pas un problème, le pouvoir n'est pas à jeter ! Le pouvoir est là, le pouvoir est une ressource. Le tout est de savoir ce qu'on en fait.

Et là, on passe 

  • d'un pouvoir sur... : j'utilise les ressources à ma disposition pour te faire faire quelque chose qui m'est profitable
  • à un pouvoir pour... : j'utilise les ressources à ma disposition pour t'amener à avancer dans une direction qui t'est profitable.

(c'est une distinction qui est la racine du coaching, et qui fait qu'en cours de coaching pro, je vais parfois être assez confrontante sur certains aspects, mais après avoir défini avec mes clients les objectifs qu'ils souhaitent atteindre pour ce coaching : j'ai ainsi l'autorisation d'utiliser mon pouvoir pour les aider à avancer vers les objectifs qui sont les leurs... 

Par exemple, cette semaine, je vais probablement aller mettre le nez d'un de mes clients dans le fait qu'il n'a pas communiqué sur un point important vis-à-vis de son chef - ce que je sais car j'ai reçu un mail dudit chef me posant une question sur ce point. Mail que j'ai laissé sans réponse puisque ce n'est pas à moi de communiquer sur le sujet. - or c'est un peu embêtant, pour quelqu'un en position de leadership et dont un objectif de coaching est de gagner en impact au sein de son entreprise, de négliger une ressource essentielle pour avoir de l'impact : la relation à son chef...) 


Pour terminer, reprenons l'exemple du faux choix : 

  • si le vrai besoin de l'enfant qui pique une crise quand on lui dit d'enfiler le pantalon déjà préparé à son intention, est la liberté, le pouvoir, le faux choix vient y répondre parfaitement : il va pouvoir décider de quelque chose, exercer un pouvoir dans un cadre compatible avec sa santé, l'état des lessives, etc.
  • si le vrai besoin est effectivement de ne pas porter de pantalon (nous avions le cas récemment en piqûre de rappel d'ateliers de parents Faber et Mazlish)... le faux choix n'y fera rien. Ce sera très frustrant pour nous, mais aussi l'occasion de faire un pas de plus et de s'interroger sur ce qui se passe. Car c'est quoi, un besoin de ne pas porter de pantalon ? 
    • Besoin de confort ? (on a plus de liberté de mouvement en short... on peut alors privilégier l'achat de pantalons dans des matières souples pour la mauvaise saison) 
    • Besoin d'attention ? (on va enfiler le pantalon sur les genoux du parent... et coupler habillage et câlin).
    • Besoin de s'individualiser ? (Là, c'est en ateliers "Frères et sœurs sans rivalité" que nous avons été amenés, pas plus tard que la semaine dernière, à parler de la manière dont les enfants peuvent s'emparer de leur garde-robe comme d'un moyen de différenciation du grand frère / grande sœur)


Et voici comment on se retrouve, nous-mêmes, avec toute une série de ressources à utiliser pour le bien de tous, c'est à dire pour réconcilier les différents besoins en présence : 

  • respecter notre besoin de parent : assurer la sécurité / santé de notre enfant ; respecter certains codes vestimentaires pour certains lieux ; ...
  • respecter le besoin court-terme de l'enfant, en l'ayant bien identifié ! puisqu'il est souvent caché derrière une demande véhémente mais trompeuse, 
  • et respecter un autre besoin, long-terme, de l'enfant : grandir et apprendre à se gérer dans un monde fait en partie de contraintes.


C'est un peu comme le bon et le mauvais chasseur chez les Inconnus, au fond
Il y a la bonne et la mauvaise manipulation
  • la mauvaise manipulation, c'est : "faire/dire ce truc te fait agir dans ce sens, donc je l'utilise"
  • la bonne manipulation, c'est : "faire/dire ce truc te fait agir dans ce sens, donc je l'utilise"... parce que c'est important pour toi aussi de savoir agir dans ce sens... et si ce truc ne "marche" pas, je prendrai cette information pour comprendre ce dont tu as vraiment besoin / le truc important pour toi mais que je n'ai pas perçu dans cette situation.

La mauvaise manipulation reste en surface, la bonne nous oblige à nous confronter à la personne qu'est notre enfant, à la comprendre, à la découvrir, à respecter son mode de fonctionnement et ses besoins.

Et... à faire le même job vis-à-vis de nous. Ouais. C'est vraiment l'arnaque car c'est fa-ti-gant tout ça.

Car la mauvaise nous met non seulement à distance de notre enfant mais aussi de nous-même: parfois, on est tellement occupés à vouloir imposer sa volonté qu'on a même oublié "pourquoi" on veut ça, voire on ne réalise même pas que ce qui "veut", ce n'est pas nous, mais la petite voix de notre mère qui nous a dit qu'un enfant bien élevé, ça [insérer comportement souhaité]).

La bonne, elle, nous incite à nous reconnecter à notre enfant et à nous-même et à être ensuite créatifs dans la manière de gérer la difficulté / d'atteindre nos objectifs profonds (et non à les lâcher, ce qui serait le coup avec du laxisme).