lundi 25 avril 2022

Le biscuit cassé et "je suis un être à la rechercheuh..." - Petit Bout d'Aletha SOLTER, Pleurs et Colères des enfants et des bébés

Chose promise, chose due : en complément du petit Bout de la dernière fois, voici sa suite, sur le fameux biscuit cassé.

"Quand un enfant éclate de colère pour une raison anodine, il est possible qu'il se libère d'une accumulation de stress"

paraphrasé de cet extrait de Pleurs et colères des enfants et des bébés, d'Aletha Solter.


Accrochez-vous.



Vous voyez le truc ? Oui ? Non ?

En fait, il y a même 2 trucs. Ou plutôt 2 niveaux.


1er niveau : Que fait-on généralement, quand un enfant hurle en pour ce qui nous semble être un rien?

  • A. on lui montre que ce n'est rien / on lui explique / on s'éneeeeerve
  • ou B. on admet que ça peut être grave pour lui, et très souvent, cela nous amène à chercher absolument à résoudre le problème par divers moyens. 

L'indicateur qu'on aura pour savoir si on a bien résolu le problème est que l'enfant arrêtera de pleeeeeureeeeer, et parfois... c'est curieux, ça ne vient pas. 


Là, tout change : si on part du principe que le vrai problème n'est pas le biscuit, on ne va pas s'embêter à le résoudre, hein ?! 

Ce qui est fou, c'est qu'en fait, j'en avais fait le constat il y a déjà très longtemps, dans ce billet : je disais déjà 

"je n'ai pas de temps à perdre à un endroit où le problème n'est pas". 

Ben c'est exactement ça :

  • parfois, la raison officielle de la colère de notre enfant n'est pas la vraie raison, et c'est ce qui explique en partie la manière frustrante dont toutes nos interventions échouent misérablement.
  • Oui, parfois, la raison de la colère de notre enfant, c'est : qu'il a besoin de faire une colère, dans le sens qu'il a besoin de décharger.

Et ce n'est pas tout 


2ème niveau :  A. Solter fait le lien avec ces moments où notre enfant demande un truc, qu'on risquerait de refuser. 

On hésite, on dit oui. Puis paf, 2 minutes après, soit ce qu'on a accepté est refusé parce que notre enfant nous demande autre chose finalement . Soit notre enfant nous fait une autre demande, souvent encore plus limite que la précédente, à laquelle on hésite encore plus à accéder et ... rebelote un peu plus tard. 

On a tous vécu ces situations où on a le sentiment 

  • que notre enfant "pousse le bouchon" toujours plus loin... 
  • Qu'il "nous cherche", nous susure une voix dans nos têtes (ou nous assène la voix d'un autre adulte). 
  • Qu'une crise plane sur nos têtes telle une épée de Damoclès. 
Et la tension monte, on hésite à tenir nos limites, parce que peut-être, hein, une petite concession supplémentaire et notre enfant ne serait que paillettes et licornes. "sur un malentendu ça pourrait marcher !" 

Alors nos limites, on les piétine un peu beaucoup, discrètement. 


Bon, eh bien, voilà : dans ces moments, il est possible que l'enfant cherche bien quelque chose. Mais ce n'est pas nous qu'il cherche, il cherche une raison de pleurer. Un déclencheur à ces pleurs de décharge dont il a bien besoin. 

Or un déclencheur très efficace, c'est une limite frustrante, alors c'est une telle limite qu'inconsciemment il va chercher avec sa demande à la noix.

A. Solter pousse même le bouchon (elle aussi ! pfff) jusqu'à émettre l'hypothèse que peut-être, le drame des enfants soi-disant trop gâtés et qui du coup geignent tout le temps, ce n'est pas de recevoir plein de trucs, c'est de ne pas recevoir le truc dont ils ont besoin : leurs pleurs étant étouffés dans l'œuf puisque on comble asap toutes leurs demandes officielles, ils sont en gros manque de ce qu'ils cherchent en fait vraiment : la possibilité de décharger. D'où accumulation de trucs non déchargés, d'où enfant geignard dit "difficile", "jamais content". 

Et paf, la boucle est bouclée, on retrouve Haim Ginott, grand gourou de Faber et Mazlish, et son 

"pour laisser entrer les sentiments agréables, il faut d'abord laisser sortir les sentiments désagréables".



Moralité :
  • ATTENTION, hein, il ne s'agit pas de balayer de la main toute demande de notre enfant en mode "c'est pas ce que tu veux, tu veux juste pleurer", mais d'avoir cette possibilité dans un coin de sa tête pour être capable de la repérer.
  • C'est quelque chose qui rend l'accueil de l'émotion encore plus absolument incontournable : si j'accueille le sentiment de mon enfant d'abord, avant d'agir, j'ouvre plus facilement la voie au besoin de décharger de mon enfant, j'évite de faire fausse route, je comble son vrai besoin, plutôt que de m'épuiser à inutilement satisfaire la demande officielle !

Je m'épargne alors une sacrée dose d'énervement puisque d'impuissant, je deviens terriblement puissant, comme parent. J'ai cette puissance de donner à mon enfant exactement ce dont il a besoin : l'espace pour décharger. A la mode du billet précédent : "Oui, tu as besoin de pleurer, vas-y, ça fait du bien de pleurer, je suis là, pleure tout ce que tu veux".

Ca m'impressionne à chaque fois, de réaliser comment du coup, 

  • je peux cesser d'être centrée sur moi "je suis une mauvaise mère, il souffre et je ne sais pas quoi faire pour le soulager" 
  • et je peux être centrée sur lui, 
    • non en mode "c'est horrible tu souffres !" 
    • ni "sale gosse capricieux, jamais content !", 
    • mais plutôt "mais oui, tu es en train d'y arriver !", dans l'accueil véritable de ce qu'il traverse, sereine dans l'encouragement. 

Bref, en mode sage-femme : qui soutient, pour accoucher d'un gros paquet qui a bien besoin de sortir. Et quand le paquet sera sorti, ce sera fini. Pas avant. 

Moui, fondamentalement, ça m'aide de réaliser que quand j'essaie de régler un problème de biscuit cassé chez mon enfant, c'est normal que ça parte en cacahuète : c'est aussi adapté que si la sage-femme nous proposait un Spasfon pour régler une bonne fois pour toutes des douleurs d'accouchement, au lieu de nous soutenir dans la mise au monde. Et c'est accueilli avec le même enthousiasme.