lundi 8 février 2021

La résistance au (ch)rangement - petit GRAND Moment de Parentalité Positive

Ce qu'il y a de bien, c'est à quel point la certification en coaching professionnel (= coaching de la vie professionnelle) que je termine en ce moment vient enrichir ma vie de parent (et inversement).

Alors, hop, en voici un exemple magnifique qui pourra vous inspirer, peut-être, vous faire rigoler, sûrement. (attention, on va parler systémie, attachez vos ceintures - et si vous ne savez pas ce que c'est, c'est totalement admissible et on s'en fiche, parce que ce n'est pas nécessaire pour comprendre et utiliser ce billet. En revanche notez-vous le mot quelque part, ça fait un Scrabble, avec un y dedans; en plus)

Le mois dernier, mes condisciples et moi avions notamment vu à quel point, quand un coaché résiste au changement, qu'il n'arrive pas à changer une habitude par exemple, il peut être très aidant de l'encourager dans cette habitude. 

Quand il cesse de résister à son problème... son problème cesse de lui résister.


Ce samedi, je passe de nouveau la journée en formation, et à la pause de midi nous revenons sur ce point.

De retour pour le dîner, j'enchaîne ensuite sur le coucher du soir, et c'est le moment du "petit moment rien que toutes les 2" avec E.

J'ai H. avec moi, et je souhaite le poser pour qu'il crapahute sur le sol pendant que je prendrai E. sur les genoux. La chambre est dans un désordre de niveau 3 (sur 5), mais je ne suis pas folle, et je demande donc juste à E. de ramasser ce qui, sur le sol de sa chambre, n'est pas compatible avec un H. en liberté : quelques livres et quelques papiers.

AAaaaaah que n'ai-je déclenché : le rangement de chambre est un sujet eeeeextrêmemnt relou avec E., depuis des mois déjà. Et effectivement, comme d'habitude

  • E. part dans de grands gémissements
  • elle dit qu'elle n'a pas envie, que c'est horrible, que noooon (ô rage ô desespoir ô maman ennemie - ça dès qu'elle lira le Cid j'y aurai droit)
  • moi mon énervement monte, je sais que si on me donnait 10€ pour chaque "dépêche toi" "allez" "tu peux le faire" "regarde il y a plus que ça" "ça prendra pas longtemps" que je vais formuler, je finirais la soirée milliardaire.
  • car elle y va littéralement à pas d'escargot (paralytique, l'escargot), et ce qui pourrait prendre 1 minute montre en main... va probablement tuer la soirée / notre moment, car là au bout de 3 minutes on en est à 2 papiers ramassés.

Scénario que je connais extrêmement bien puisqu'il se répète à chaque rangement de chambre, et que pas plus tard que mercredi dernier ledit rangement a pris 2h.

Précisions : cette chambre 

  • fait moins de 11m²
  •  ne contient qu'une quantité modérée de jouets en même temps, puisque nous opérons encore une sorte de rotation des jouets avec ce qui est stocké dans les placards de la salle de classe 
  • et au demeurant, du côté d'E. on "rotate" très peu, ses intérêts restant globalement toujours sur les mêmes choses : ses animaux Schleich, meilleur investissement ever - largement rentabilisés puisque la fascination qui avait débuté dès 12 mois ne s'est pas émoussée, dessiner, se déguiser, lire - lire -lire : je crois qu'on a fait le tour de ce à quoi E. passe son temps libre.


Bref, ce scénario de l'horreur vous dit quelque chose ?

Attendez la suite.


Devant ce scénario bien connu, donc, mon esprit tout frais imbibé de psychologie du changement fait subitement tilt : ben, en effet, là aussi ça fait des mois qu'on tente tout et n'importe quoi pour améliorer le rangement de chambre (et sans nous montrer des fanatiques, hein ! mais quand il faut faire le ménage, il faut ranger, à minima), des mois que rien ne produit d'effets durables, des mois au contraire que ça empire.

Alors observant E. en train de ramper péniblement vers un bout de papier, je réalise qu'il est temps de lâcher complètement prise. Puisque tous nos efforts pour lui faire ranger sa chambre rapidement ont échoué... que se passera-t-il si j'inverse la vapeur ? De toute façon, hein, la soirée est fichue, alors lâchons-nous.

- E., tu as raison de ranger lentement. 

E. relève la tête, interloquée. Elle chouine encore, persuadée qu'elle a mal entendu, mais ça manque déjà de conviction.

Je poursuis :

- Tu as raison. Va plus lentement.

A ce stade, E. oublie de chouiner. J'ai toute son attention. 

Je répète

- E., range plus lentement. Tu as envie d'aller lentement, il faut aller pluuuus lentement.

- Mais non, il faut ranger vite, non ? (E. ne chouine plus du tout, elle se redresse)

- Non, il faut ranger len-te-ment. Là tu vas beaucoup trop vite.

Un sourire en coin, E. ramasse un papier, guettant du coin de l'œil ma réaction.

Ah non ! J'insiste :

- Noooon, j'ai dit LENTEMENT. Ca va pas du tout, tu vas trop vite !

E. accélère

- Eh non, je fais vite, je fais vite.

- Nooooon lentement.

Les papiers ont déjà disparu (STOP STOP !), elle attaque les livres 

- Nooooon pas les livres !

- Et tu veux pas que je range mes dinosaures non plus, hein ? Bah je le fais !

- NOOOOOON pas les dinosaures, ils veulent rester en désordre.

3 minutes de ce régime là plus tard, la chambre est entièrement rangée (NB : alors que la demande initiale était beaucoup plus modeste), une E. hilare se met sur mes genoux ("tu voulais pas que je range, hein, maman ?" "noooon"), et se relève 3 minutes pus tard quand elle repère encore un truc qui traîne (je proteste vivement, elle me nargue en gloussant "Ah et encore ça"), puis encore 2 minutes après quand H. commence à vider sa caisse à animaux Schleich, pour les reranger (truc totalement insensé, hein, puisque ça équivaut à remplir d'eau une passoire).

Après l'histoire lue ensemble, elle détectera encore un truc qu'elle rangera très vite, puis filera chercher son père pour lui montrer fièrement sa chambre.


Alors, immonde manipulation, puisque j'ai juste prétendu que je ne voulais pas quelque chose alors qu'en fait je le voulais ?

Hum, à un niveau, bien sûr que je souhaitais toujours que E. range sa chambre et n'y passe pas trois plombes.

Mais à un autre niveau : plus du tout. Parce que j'avais admis que si E. se cramponnait ainsi à un comportement pourtant franchement pas optimal (puisque sa lenteur transformait une tache potentiellement extrêmement brève et assez indolore en un long moment insupportable), c'est que celui-ci correspondait au meilleur choix possible pour elle.

C'est un concept de coaching que j'ai trouvé très éclairant. Bien sûr que Mamie Germaine (et nous-mêmes parfois) est exaspérante à toujours faire un truc vraiment pas optimal alors qu'il est évident qu'il faudrait faire autrement.

Mais en fait, Mamie Germaine / chacun d'entre nous fait, à tout moment, le meilleur choix disponible parmi ceux qu'elle voit. C'est le concept de carte du monde : chacun d'entre nous a une carte des choix possibles, et c'est comme une carte de jeu vidéo : on ne voit pas tout. Moi qui ne suis pas seulement une fan de Sims, mais qui ai aussi beaucoup joué à Age of Empires (le I. Sa version pixelisée conserve un charme que ses suites plus sophistiquées n'ont jamais pu égaler à mes yeux), je vois bien : évidemment que mon villageois ne va pas pouvoir aller taper dans la mine d'or à quelques pas de lui si il ne la voit pas (le crétin !). 

Une manière d'agir quand une situation se produit et que notre manière de la traiter ne semble pas produire les résultats attendus, c'est d'élargir notre carte du monde en découvrant de nouveaux choix (ou en éclairant ceux à disposition d'une autre lumière). C'est ce qu'on fait quand on s'informe, en causant avec le voisin, en lisant un sublime article de blog ou un excellent bouquin (ce que vous êtes en train de faire, là, du coup ^^. Vous élargissez / complétez votre carte du monde. Félicitations). C'est aussi à ça qu'on travaille en coaching (non un coach ne vient pas nous dire à notre place quoi faire!). Si à la place des 2-3 choix qu'on voyait, on en a soudain 4 ou 5, il se peut très bien que finalement le meilleur choix possible pour nous ne soit plus celui qu'on privilégiait jusqu'à présent faute de mieux.

Chez E., donc, j'ai admis que pour elle, à ce moment, le meilleur choix était de résister au rangement, de ranger le plus lentement possible. Pourquoi ? Je ne peux faire que des hypothèses. Mais je peux imaginer que, peut-être, ça pourrait être en lien avec un besoin d'autonomie, d'indépendance; un besoin de d'aller à son rythme dans un quotidien où quand même, le "Dépêche-toi" est sûrement trop présent... un besoin de respect d'elle-même..

Dit comme ça, c'est tout de suite plus facile à prendre en compte, hein ? 

Ce qui ne doit pas nécessairement conduire à nous culpabiliser d'oser prétendre que notre enfant range sa chambre. Notre besoin d'ordre aussi est important, mon besoin de respect de moi-même et de mon temps me conduit par ailleurs à ne pas vouloir ranger moi-même, ce qui serait aussi un choix possible dans d'autres cartes du monde / à d'autres moments, mais pas dans la mienne à ce moment précis.

Si ce n'est qu' opposer mon besoin d'ordre et son besoin quel qu'il soit ne produit bien évidemment pas un résultat optimal, pour aucune de nous deux.

Associer ces 2 besoins, au contraire, en renforçant le choix que ma fille a trouvé : ranger plus lentement....

J'ai arrêté de pousser, E. a pu arrêter de résister. Expérimenter et trouver son rythme à elle. C'est-à-dire élargir sa carte du monde à elle au lieu de devoir adopter la mienne. Et décider que finalement aller vite, c'était sympa tout plein aussi.

Et nous avons toutes les 2 bien rigolé. 

Rangement : 1, Connexion : 100. 

Perdant : 0.

(une dynamique qui n'est du reste pas sans similitude avec ce billet sur le jet d'objets, ou cet exemple, repris dans le livre des 200 moments)

Mais bien évidemment, je ne faisais pas le lien, emberlificotée que j'étais dans mes efforts.

Si, quand on en avait vu des bribes en Master RH, j'avais su que j'écrirais un jour : 

"C'est top la systémie !".... 

je pouffe.


Terrain de jeu systémique
Terrain de jeu systémique


6 commentaires:

  1. C'est un billet super intéressant, qui m'offre pleins de postes de réflexions !!

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  2. Salut Gwendoline, c'est passionnant, merci !
    Je retiens : "j'avais admis que si E. se cramponnait ainsi à un comportement pourtant franchement pas optimal (puisque sa lenteur transformait une tache potentiellement extrêmement brève et assez indolore en un long moment insupportable), c'est que celui-ci correspondait au meilleur choix possible pour elle."

    ---> j'aime bien l'idée qu'on fait toujours les meilleurs choix pour soi, notamment les enfants qui n'ont pas trop été abimés.

    Concernant le rangement, je te fais part de ce que j'ai fait chez moi (ça vaut ce que ça vaut). J'ai toujours rangé sans leur demander d'aide et par imitation elles le faisaient avec moi. Au bout d'un moment, elles ont rangé par elles-mêmes, de plus en plus (entre 8 et 12 ans mattons), ça n'a jamais été un sujet de conversation. Seule demande de ma part : qu'elles versent leurs boites de playmobils ou Barbies dans un grand tissu-nappe et que ça ne déborde pas). (Claudia avec A 21, L 18, L 15)

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    1. Merci Claudia !
      Sur le point 1 : oui et même pour les enfants abîmés : eux aussi font les meilleurs choix pour eux mais leur carte du monde est particulièrement amochée donc leurs choix potentiellement restreints / pas adaptés du tout à la satisfaction de leurs besoins réels

      Sur le 2 : oui tout à fait ! Le truc est en fait plus profond que le simple rangement et s'étend à l'habillage d'habillage et mille autres choses. Le remède... aussi, cf ce que je vais répondre à un commentaire suivant 😁

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  3. Très intéressant.
    Maintenant, la question est : ça a bien marché la première fois. Comme réagirais-tu si les 100 prochaines fois, elle te prend à ton propre jeu et met 3h à ranger ?
    Est-ce que tu changes de stratégie, ce qui serait un aveu d’hypocrisie de ta part et que tu ne souhaitais pas vraiment qu’elle mette plus de temps, mais faire de la psychologie inversée ?
    Où est-ce que tu ouvres vraiment cette possibilité qu’elle mette plus de temps à ranger et tu l’accepteras sans problème car c’est toi-même qui l’a suggérée ?
    Avec un enfant précoce, il y a de grande chances qu’elle teste ta théorie et ta sincérité. Je ne prendrai pas le risque !

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    1. Justement je ne l'ai fait que parce que j'étais ok avec ça. Et É. L'est aussi car depuis elle l'a elle même étendu à d'autres domaines : ainsi hier quand j'ai signalé que c'était lheure de se mettre en pyjama elle m'a reprise "tu veux que j'y aille très lentement hein maman ?!" Et à attendu que j acquiesce pour foncer dans l'escalier en ricanant. Elle n'agit ainsi que parce que cette manière lui convient pour coopérer, pas parce que je l'ai filoutee 😍.
      D'ailleurs ça perturbe énormément son frère qui était furieux que jenjoigne à E de mettre le couvert lentement et protestait sans réussir à voir que justement E faisait le contraire. Les mots pesaient plus lourd pour lui que ce qu'il pouvait pourtant observer...

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