Tout récemment une discussion Facebook m'a rappelé une autre de ces grandes croyances si répandues dans nos têtes de parents, et qu'il est tellement difficile de remettre en question... et tellement important car bénéfique pourtant : j'ai nommé...
La nécessité de "faire front" devant les enfants
= se montrer d'accord avec son conjoint sur les décisions concernant les enfants, y compris le soutenir devant eux / ne pas le contredire ou contrecarrer quand il agit d'une manière qui nous semble pourtant pas ajustée voire franchement nocive.
En l'occurrence il s'agissait d'un conjoint ayant recours à des mots très blessants envers les enfants ("tu es nul"), et des mesures humiliantes, à des fins de discipline.
Les échanges Facebook m'ayant amenée à approfondir / détailler un peu ma réflexion sur le sujet, j'ai réalisé que je tenais là une de ces fameuses #phrasàlacon, un de ces mantras dont on hérite et reprend si facilement comme une vérité de base, inquestionnable.
Et en fait... sans l'avoir fait consciemment, je m'aperçois que, alors que c'était très clairement quelque chose dont j'étais persuadée avant d'avoir des enfants, je m'en suis bien détachée.
Alors, des fois que ça puisse vous servir, questionnons ensemble :
En quoi est-il excellent de contredire son conjoint dans ce genre de situations ?
1. Déjà, il y a là un signal important : il est essentiel pour rassurer l'enfant, restaurer ce qui est blessé ainsi dans son intégrité
Aucun parent ne se comporte toujours parfaitement envers son enfant (sauf moi, bien évidemment... hum hum), nous blessons donc nos enfants régulièrement. Pas moyen de l'éviter totalement.
Mais quand un parent débloque, soit par exception, ou encore davantage quand c'est régulièrement, il est très précieux que l'enfant puisse avoir la confirmation, par la réaction de son autre adulte de référence, que ce qui se passe n'est pas "normal", acceptable, et encore moins mérité.
Cela permet d'atténuer considérablement l'impact des mots / actes du parent-qui-débloque, en augmentant les chances que l'enfant puisse davantage les catégoriser comme tels, et non comme des vérités intangibles.
Ca, c'était mon premier niveau de réponse, celui qui est sorti le plus spontanément. Et puis en fait... d'autres me sont apparus.
En contredisant son conjoint devant ses enfants, on les protège dans l'instant, eux, et dans l'avenir (en leur montrant que personne n'a le droit de leur dire des trucs pareils)... et ...
2. On leur transmet également des messages forts et ô combien précieux sur le couple, et l'amour en général :
- droit de penser /ressentir différemment dans un couple
- droit de se disputer: ce n'est pas la fin du couple
- les adultes peuvent avoir tort
- et on peut estimer que quelqu'un a tort et continuer à l'aimer
Le mariage, c'est quand un homme et une femme ne font plus qu'un. Le plus difficile, c'est de savoir lequel.
- on lui montre que lui-même peut avoir tort et continuer à être aimé... et donc profiter des ressources formidables liées à la remise en cause ! Citons notamment :
- apprendre de ses erreurs
- oser faire des trucs (puisque c'est pas la mort de se tromper / ne pas y arriver)
- pardonner et demander pardon
- on lui montre qu'il peut considérer que son père a tort et continuer à l'aimer, plutôt que d'avoir le choix entre nier son ressenti d'enfant, ou considérer que son père est un gros c**. Dilemme qui contribue grandement à
- la violence des crises d'adolescence, si elles ont lieu,
- la difficulté à établir des relations adulte-adulte avec ses parents
- la difficulté à remettre en cause des schémas familiaux / styles d'éducation : comment décider d'éduquer autrement mes enfants que je ne l'ai été, puisque ce serait implicitement ou explicitement, exprimer que mes parents ont eu au moins un peu tort d'agir comme ils l'ont fait avec moi, alors que j'ai intégré que je ne peux les aimer si ils ont tort ?
Par Rundvald — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=123316058 |
Merci Gwendoline pour ce billet. Le sujet passait régulièrement dans ma tête et effectivement je n'avais jamais saisi ce mantra (qui m'apparaît venir d'un certain milieu) du "on ne reprend pas son conjoint devant les enfants" ou "on ne se dispute pas devant eux". Je rejoins entièrement ta réflexion et elle me conforte dans mon intuition. Merci de mettre les mots que je n'aurai pas eu pour confirmer cette intuition !
RépondreSupprimerClaire S.
Claire j'en suis ravie ! Ce billet est vraiment sorti comme ça : de la réalisation qu'il y avait "un truc", à clarifier, là, pour un comportement vraiment aligné ;-)
SupprimerSuper sujet! Puis je réclamer un second opus pour détailler le post scriptum? ^^Parce qu'à mon sens, cet adage ne vient pas de nulle part. Prenons des enfants qui ont subi les interminables disputes de leurs parents, en tant que spectateurs passifs non consentants, parfois pris à partie, parfois superbement ignorés, parfois effrayés lorsque la violence éclatait entre les parents, dans tous les cas toujours mal à l'aise.
RépondreSupprimerQue deviennent ces enfants, une fois eux même devenus adultes et parents? Des gens qui ne veulent pas faire vivre à leurs gosses ce qu'ils ont vécu. Et ça donne "Je ne me disputerai JAMAIS avec mon conjoint devant mes enfants". Avec les conséquences pourries que tu mentionnes. (D'autant que si on va plus loin, comme il est impossible de ne "jamais se disputer", ça peut aussi donner des familles où 80% du temps tout le monde porte un masque de politesse, et les 20% du temps où ça finit inexorablement par craquer, ça hurle et ça tempête, et les enfants retiennent donc que le conflit c'est très grave, et que c'est forcément violent. Encore pire!)
Donc pour moi le gros enjeu, c'est COMMENT se disputer devant les enfants. Comment réussir à être en désaccord sans violence, où savoir s'arrêter lorsque ça va trop loin et que les enfants vont en pâtir, comment ne pas décrédibiliser son conjoint, comment ne pas ouvrir des failles trop grandes et paradoxales dans les règles éducatives communes.
J'aime beaucoup ton exemple sur le bruit, qui apprend aussi aux enfants que les règles peuvent changer en fonction des personnes, parce qu'on a tous des sensibilités différentes. Mais si ça devient "j'ai appris que dès que maman m'impose une limite, il suffit que je crie pour que papa me donne ce que je veux" (par exemple), alors c'est le plus court chemin vers un gros gros conflit parental et éducatif chronique ^^'
(potentiellement très dommageable pour l'enfant, les parents, et la famille en général).
Aj j'aime beaucoup, Marie. Et je prends la réclamation...^^ c'est un très chouette sujet à creuser.
SupprimerLes conseils d'une psy que nous avons consultée : on peut ne pas être d'accord, ce n'est pas forcément idéal mais ça arrive. Dans ce cas il vaut mieux dire à l'enfant qu'on va discuter ensemble pour trouver une solution, que l'enfant n'a pas son mot à dire et qu'il doit attendre que les parents se soient mis d'accord. Elle nous a dit que les parents formaient un seul gouvernement, mais que chacun incarnait un Ministère avec sa propre politique, donc c'est normal s'il y a des divergences
RépondreSupprimerC'est une piste intéressante ! c'est cool ça enrichira la réflexion / billet demandé par Marie ci-dessus
SupprimerTout à fait très, et très bien exposé. L'idée qu'il faut faire front est un poison qui découle de cette mentalité selon laquelle il faut toujours se méfier de ses enfants, sous peine de se faire bouffer. J'essaye de faire front avec lui, jamais contre lui, et quand je craque je suis heureuse si son papa ou quelqu'un d'autre soit là pour le réconforter si je n'en suis plus capable.
RépondreSupprimerDo
Tellement vrai ! oui en effet à y réfléchir, ça part vraiment d'une logique de rapport de forces plutôt qu'une logique de vérité et de respect.
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