lundi 19 avril 2021

Crises et "problèmes" : notre enfant est un gros chantier

 "Au secours, mon enfant fait des colères, ment, tape, hurle, jette des objets, ne fait pas ce que je lui demande et fait ce que je lui demande de ne pas faire"...

Un constat angoissé que fait quasiment chaque parent et qui alimente des millions de publications sur des groupes Facebook d'entraide entre parents, et qu'on retrouve également, du reste sur le groupe des Moments de Parentalité Positive.

Angoissé à double titre  !

  1. Reconnaissons-le : à l'instant T c'est très désagréable à vivre pour une personne, de côtoyer au quotidien une autre personne qui hurle, tape, jette des objets et semble s'ingénier à faire le contraire de ce qu'on attend de lui et qui est, généralement 1. pour son bien (se brosser les dents, dormir à une heure raisonnable) et/ou 2. nécessaire au bien d'autres personnes (se brosser les dents; dormir à une heure raisonnable)
  2. A l'instant T se superpose l'instant F comme Futur : nous, parents, nous voyons les problèmes de l'instant T comme annonciateurs de problèmes pour l'avenir. Ce mélange présent-futur est d'ailleurs abondamment encouragé par notre entourage, comme le rappelait si brillamment mon sublime bingo des crises
    • si il nous parle comme cela à 3 ans, qu'est-ce que ce sera à 13 ? 
    • Si il ne sait pas gérer la frustration à 4 ans, comment pourra-t-il évoluer adulte, dans un monde où il ne pourra pas tout avoir ? 
    • Si il hurle quand il est en colère, comment aura-t-il des relations respectueuses et paisibles à l'âge adulte ? 
    • Si il subtilise un chocolat à 5 ans, il volera une Alfa Romeo à 25 ? 
    • Si il ne sait pas respecter les règles à 6 ans, il finira au ban de la société / en taule ?

Les premières années en particulier, notamment la zone 2-4 ans, peuvent être particulièrement difficiles à vivre au quotidien, et personnellement, il y a eu des jours où nos perspectives d'avenir me semblaient bien sombres, en mode "Mais en fait on a signé pour 20 ans de çaaaaa ?!?". 

Une anxiété qui, d'ailleurs, peut parfois être encouragée par certaines réactions venant des milieux siglés bienveillants, qui, à un parent épuisé par les nuits compliquées et/ou les crises à répétition de sa progéniture, ne répondront parfois que "T'inquiète, ça grandit tellement vite, dans 20 ans ça te manquera". Si ce n'est que retenir son souffle pendant 20 ans n'est une technique jouable pour personne et ne va pas rendre une once d'oxygène à la personne déjà menacée d'asphyxie.

De mon côté, à un moment, j'ai réalisé un truc qui m'a bien aidée, et depuis, je sais que ce changement de perspective a a aussi aidé d'autres parents à 1. vivre les choses différemment 2. trouver aussi leurs manières à eux de les gérer.


Ce qui m'a aidée, c'est de voir notre enfant / sa croissance comme un chantier.

Son cerveau n'est vraiment pas autre chose qu'un giiiiigantesque chantier.  On sait grâce aux neurosciences à quel point un cerveau d'enfant est immature. Que son cortex est encore très peu développé et donc pas en mesure d'inhiber les réactions primaires du cerveau archaïque (d'où les tapes, cris, intolérance à la frustration etc). C'est normal : tout ça est en construction. En permanence, des neurones et des connexions neuronales se font et se défont. Si bien qu'en plus certains acquis d'une période peuvent être remis en cause par les acquis d'une période ultérieure. Un peu comme les artères creusées par Hausmann dans les rues de Paris au XIXème sont venues chambouler de nombreuses ruelles moyenâgeuses dont certaines pourtant sûrement charmantes et pratiques.

On peut donc regarder notre enfant comme un gros immeuble

  • Il serait absurde d'attendre du chantier de présenter dès maintenant les caractéristiques souhaitables dans le "produit" final : absurde et contre productif. Ce serait comme s'attendre à construire proprement notre immeuble en miniature, en Lego, et puis souffler dessus pour qu'il grossisse et prenne peu à peu les caractéristiques d'un immeuble "adulte". 
  • Les premières années d'un enfant, ce ne sont pas des années propres avec un adulte en Lego/miniature, c'est le moment où sont creusées les fondations, coulées les dalles de béton, où les premières poutrelles s'élancent vers le ciel. 
    • Est-ce propre, un chantier d'immeuble ? Est-ce bien rangé ? Silencieux ? Harmonieux et calme ? 
    • Et pourtant, cela laisse-t-il présager de la solidité future de l'immeuble ? Les poutres et tiges métalliques qui hérissent le début de construction sont-elles représentatives de l'esthétisme de la construction achevée? La boue et les tas de gravats qu'on voit pour le moment empêcheront-ils plus tard de belles pelouses avec des arbres et des oiseaux ? Le bruit du chantier empêchera-t-il plus tard la résidence d'offrir paix et silence à ses habitants ?

Si sur mon chantier je m'élance à chaque fois que quelqu'un dérange une poutre, histoire que celles-ci restent bien parallèles, on va pas construire grand chose. Si je mets en priorité le fait de laisser la pelouse en l'état et d'éviter que le sol ne se creuse momentanément d'ornières et de cratères, je vais laisser les tractopelles au garage et les travaux ont peu de chance d'aboutir. Si je ne veux pas gêner la vue / le paysage, je bannirai également l'usage des grues, et ça va être pratique pour monter les étages. Si j'impose au chantier les mêmes règles de silence / discrétion que celles qui seront en vigueur dans la future résidence, ladite future résidence sera construire à la petite cuiller et au pinceau. 

Ca promet.


Oui, l'éducation d'un enfant, c'est un chantier, et les premiers temps de ce chantier sont particulièrement désordonnés, bruyants, fatigants, et on n'entrevoit pas du premier coup d'œil le résultat final. A mesure que les années passent, on commence à voir se dessiner des trucs (oh tiens, une entrée de garage / un embryon de sens des responsabilités), mais le tout début du chantier est tout de même particulièrement chaotique.

C'est pourquoi distinguer le point 1 du point 2 est fondamental : 

on peut alors

  • peaufiner les plans / la méthodologie, faciliter les travaux
C'est bien joli de comprendre pourquoi c'est le bazar sur notre chantier, mais c'est un bazar utile, orienté vers une fin. Ce n'est pas nous qui avons dessiné les plans, mais ils existent ! On ne restera pas les bras ballants, mais on essaiera d'aller dans le sens de cette utilité finale, et donc de la comprendre. 

    • OK pour les colères, elles sont aussi inévitables que les tas de gravats, mais à quoi ça sert une colère ? Que pouvons-nous faire et éviter pour qu'elles permettent vraiment d'apprendre peu à peu à gérer les émotions ? Accueillons les sentiments, donnons de la sécurité affective, montrons l'exemple d'alternatives acceptables. 
    • Idem, une fois que j'admets que le désordre semé par mon bambin de 2 ans non seulement n'annonce pas une vie future dans un squat nauséabond, mais est un effet secondaire logique d'une soif de mouvement et de découverte essentielle à l'apprentissage, je ne vais pas exiger qu'il sache ranger seul sa chambre et respecter l'ordre impeccable (pffff) du logement familial, mais je vais ranger avec lui, et je vais lui donner des choses utiles à déranger, des choses qui le construisent : des cubes, des livres, plutôt que des choses qui l'immobilisent (un écran). 

D'où l'intérêt, pour  regarder les travaux avec sérénité et savoir distinguer, dans la poutrelle toute moche, le pilier solide sur lequel notre enfant pourra s'appuyer le restant de sa vie, voire du coup venir renforcer cette poutrelle, d'acquérir des compétences en architecture / génie civil / psychologie de l'enfant...

Personnellement, c'est ce qui m'a poussée à m'outiller, puis à écrire mon propre livre : garder les yeux fixés sur l'utilité de chaque petite étape de chantier, repérer les manières dont je peux utilement contribuer à la construction, de manière à pouvoir le reproduire.

Sans se mettre la pression non plus : sur tous les chantiers, il y a des couacs. On n'aura pas planté une cloison au bon endroit, ou un peu lésiné sur la solidité d'un pilier, et il y aura peut-être des fissures dans certains murs, mais globalement, la résidence sera à même d'apporter sécurité, et d'héberger les rires de ses habitants.


  • sécuriser / border le chantier 

Oui un chantier c'est le bazar, mais même sur un chantier, y a des règles

Des règles différentes de celles qui prévaudront dans la résidence finale, adaptées à l'étape chantier, mais destinées à ce que toutes les parties prenantes des travaux puissent évoluer en sécurité et avec le moins de fatigue / désagrément possible : sur un chantier, on porte un casque, des boules Quiès, certaines personnes ne sont pas autorisées à entrer, il peut y avoir un sens de circulation des véhicules, du balisage pour interdire l'accès à certains endroits, des procédures pour le travail en hauteur, et des horaires à respecter. 

Même chose pour l'éducation de nos enfants : quelles règles et quelles ressources pouvons-nous mobiliser pour que l'étape chantier se passe le mieux possible pour eux, pour nous, pour notre entourage ? Elle restera boueuse et bruyante, fatigante physiquement et parfois peu gratifiante, mais notre objectif est que toutes les parties concernées puissent survivre au chantier et même en apprécier certaines étapes. 

    • Je peux comprendre que vouloir que mon enfant évolue à tout moment dans un environnement parfaitement rangé / le laisse parfaitement rangé est à la fois illusoire et peut nuire à son apprentissage, parce que avant de commencer à mettre des choses daaaans les boîtes, un bébé viiiiide les boîtes, par exemple. Mais je peux limiter la casse en laissant par exemple peu de jouets à disposition en même temps, comme ça le rangement m'est moins casse-pieds. Mettre les objets auxquels je tiens hors de portée, voire fermer la porte d'une pièce qui sera mon havre de paix.
    • Je peux comprendre pourquoi mon enfant me tape, me rassurer sur le fait que cela n'augure pas d'une carrière glorieuse dans la pègre, mais veiller à mon intégrité physique en attrapant la petite main, voire en m'éloignant tout en le rassurant de la voix sur le fait que ce n'est pas un rejet de lui, mais une mise en sécurité de moi.
    • Je peux admettre qu'un enfant ne va pas gérer seul son linge, mais tout de même demander le respect du travail que celui-ci me cause, et une contribution adaptée aux capacités de l'enfant : mettre le linge au sale, ranger ce qui peut encore être porté, trier le linge, aider à l'étendre, le plier...
    • Je peux prendre des intérimaires pour me relayer et m'offrir des congés bien mérités, qui me permettront d'ailleurs de mieux comprendre les plans de construction, une fois que mes yeux seront reposés.
    • Je peux prévoir des soirées teambuilding avec le reste de la team construction (mon conjoint, au hasard), histoire que l'ambiance du chantier soit la plus agréable possible, et que l'on reste bien 2 à coordonner le chantier sur toute la durée.
    • Je peux explorer les ressources de la parentalité ludique pour mettre du fun dans les travaux.
    • Je peux afficher les règles du chantier pour m'éviter d'avoir à les répéter trop souvent.

Je peux... faire vachement de choses adaptées à la situation, une fois que j'ai regardé la réalité de la situation en face : c'est un chantier.

Y compris, si certaines personnes refusent de se comporter, sur le chantier, comme on doit se comporter sur un chantier, en encadrer l'accès.


Bons travaux !



1 commentaire:

  1. Merci pour cette jolie métaphore très juste, il y a des phrases à ressortir à certains qui oublient que tout ça est en chantier :)

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