Je n'avais pas publié de petit bout de Lawrence Cohen depuis longtemps, et pourtant, j'ai tout de même (un peu) avancé dans ma lecture de son excellent "Qui veut jouer avec moi?". Mais bon, mes journées étant bien pleines...
Or là, il FAUT que je vienne partager quelque chose, et le format réduit de ces billets où je débite mes lectures en petits bouts prêts à l'emploi s'y prête merveilleusement bien.
Car je mettais déjà depuis quelque temps en pratique le petit bout dont je viens vous parler aujourd'hui, et je trouvais les effets intéressants, mais c'était léger, c'était du long terme, etc.
Or il m'a été incontestablement trèèèès utile pas plus tard que cette fin de semaine, lors d'une crise monumentale de F. . C'est donc, enfin, du testé et approuvé.
En revanche voyez-vous, je suis fort marrie: je n'arrive pas à mettre la main sur le passage exact que j'aurais aimé citer. J'en ai retrouvé un, mais il me semblait qu'il en existait des plus explicites (oui, "des", je suis également persuadée d'avoir lu la recommandation du jour à plusieurs reprises dans le bouquin). Bref, si au détour d'une lecture de ce bouquin, vous tombez pile poil sur un passage qui correspond, s'iiiil-vous-plaît envoyez-moi la référence exacte parce que là, ça m'éneeeeerve.
Du coup, la citation du jour est:
"Certains parents craignent que laisser l'enfant dicter les règles ne le prépare pas au monde cruel de la vie en société [...]. Maîtriser le jeu lui donne en outre l'occasion d'évacuer la tension et les contrariétés liées au monde plein de confusion des jeux, des règles et de la compétition."
Issue du paragraphe suivant :
Lawrence COHEN, "Qui veut jouer avec moi ? - Jouer pour mieux communiquer avec nos enfants", pp282-283. |
En d'autres termes, il s'agit, à certains moments de jeux avec l'enfant (pas à tous, hein), de le laisser définir des règles (y compris différentes de celles habituelles si il s'agit d'un jeu ayant des règles établies), et de s'y plier, soi adulte, avec plus ou moins de bonne grâce.
Plusieurs points intéressants dans cette démarche:
- Renforcer en général la force des règles:
- rappelons que les "règles" sont bien souvent une manière positive de formuler une limite, et qu'à ce titre, leur respect est fondamental, à la fois pour la survie parentale (des règles adaptées contribuent à la protection des limites personnelles du parent), et l'intégration de l'enfant dans la société.
- Et à l'âge de F., la règle, le repère qu'elle représente, le fait que chacun y soit soumis, a quelque chose de fascinant. Le nombre de fois où je l'entends me dire, dire à sa sœur, se dire, proposer: "la règle c'est..."
- Permettre à l'enfant d'être du côté "j'édicte les règles": lui qui souvent ne fait que les subir, ou, au mieux, contribue à leur définition.
- Voir quelqu'un d'autre, et justement, son parent, obligé de respecter la règle, et du coup, aux prises ce que les règles provoquent habituellement chez lui : frustration, tentation de ne pas les suivre, efforts pour les respecter tout de même (il s'agit donc d'être très démonstratif sur ce point).
Chez nous, depuis quelque temps, il existe donc des règles spécifiques pour certaines fois où je sors dans notre impasse privée pour jouer avec les enfants. En effet, parfois, nous jouons à "attraper" : imaginez-vous la Gwen, à pied, en train de courir partout (en plus, ladite impasse est en pente) pour attraper ses rejetons qui zigzaguent dans tous les sens l'un juché sur son vélo, l'autre sur sa draisienne.
F. a corsé les choses d'une règle très relou : je n'ai pas le droit de les attraper tant qu'ils roulent sur des pavés : c'est-à-dire tout le bas de l'impasse, mais aussi la partie centrale de la voie, constituée d'un caniveau pavé. Ce qui arrange bien les affaires de ma progéniture car, où qu'elle soit, elle ne se prive pas, quand je ne suis plus très loin, de rejoindre cette partie centrale et de parcourir plusieurs mètres ainsi, tranquillement à l'abri, sous mon nez.
C'est terrible !
Je le montre, et j'en rajoute des tonnes :
- je m'essouffle - bruyamment, évidemment (pas besoin de beaucoup de talent théâtral pour cela, je suis une grande sportive ne l'oublions pas!)
- je peste contre cette règle,
- je grogne
- "Aaaah mais j'ai teeellement envie de t'attraper !"
- "Ah, si il n'y avait pas cette règle, j'y arriverais bien mieux!"
- "Non, eh, c'est pas juste ! Va pas au milieu, j'allais t'attraper!"
- "Ouille ouille, j'aimerais bien ne pas respecter la règle, mais zut, je dois la respecter",
- je pousse des cris de rage au moment où F. rejoint les pavés, je tournoie comme un vautour en attendant qu'il quitte la zone de protection (avec force regards sournois), je me jette sur lui avec un sourire gourmand quand il en sort, pour prendre un air tout penaud quand il y retourne. Mes doigts le manquent alors de peu, mais se referment sur le vide d'une manière très démonstrative
F. (et E.) sont ravis, ils adorent, en redemandent, et aussi: m'observent avec intérêt tout au long du jeu. Les fois où je me prends à enfreindre la règle, ils me rappellent à l'ordre illico.
Déjà, je percevais bien que ce jeu était loin d'être anodin, mais qu'il venait au contraire combler un besoin. Il constituait une expérience, troublante, passionnante, qui venait remuer quelque chose.
Or la semaine dernière, au retour d'une grande promenade à vélo, F. est parti dans une grande colère, dont je ne me souviens plus exactement du déclencheur. Peu importe: ladite colère a fini par cristalliser autour de la question du casque : F. a prétendu ne pas vouloir le porter pour la fin du trajet, et est resté sourd aux rappels de règles ("le vélo, c'est avec un casque") et autres choix ("tu peux rouler sur ton vélo avec un casque, ou pousser ton vélo en marchant à côté, et ne pas porter de casque").
Grooosse colère en pleine rue, donc. M'enfin ça ne me gênait pas trop, il était tard, il faisait froid, en conséquence de quoi le public était restreint.
Il n'empêche qu'une colère, ce n'est jamais agréable, et que quand les températures sont proches de zéro, on est particulièrement content quand ça s'arrête et qu'on peut avancer vers une maison chauffée.
Or celle-ci a duré, duré, et n'a basculé qu'au moment où, à l'accueil des sentiments standard, j'ai rajouté
- Ah oui, c'est une règle que tu n'as pas envie de respecter, ça, c'est vraiment énervant. Tiens, c'est comme la règle qui dit que je n'ai pas le droit de t'attraper sur les pavés.
Que n'avais-je dit !?
Instantanément, j'ai perçu que F. se détendait, il a commencé à me regarder, et moi, j'ai poursuivi
- Oh, oui, cette règle, elle m'énerve, franchement parfois j'ai vraiment du mal à la respecter! J'aimerais vraiment ne pas devoir le faire, c'est énervant! Je pourrais t’attraper plus facilement, alors que je ne peux pas. C'est difficile pour moi de la respecter.
- Oui mais tu dois, a rétorqué F. (son expression en prononçant cette phrase ! Il était palpable qu'il se la disait autant à lui qu'à moi)
- Oui mais c'est vraiment difficile, franchement, c'est dur, je veux pas !
- Tu dois, c'est la règle !
Il s'est encore un peu tortillé, mais la conviction n'était plus là, et pendant que je continuais à raconter tout ce que je reprochais à cette %£$@ de règle, et tout ce que je pourrais faire si seulement elle n'existait pas, il m'a laissée lui rattacher son casque, et le trajet s'est terminé paisiblement.
J'ai vraiment été impressionnée de constater à quel point évoquer la manière dont, moi, je pouvais ne pas apprécier ses règles à lui, l'a aidé à accepter la situation inverse !
Décidément, oui, jouer à inverser les rôles, c'est un investissement rentable à plus d'un titre...
Petits Bouts de Lawrence Cohen précédents:
Mettre un terme à un jeu violent
Difficiles retrouvailles avec un enfant
Une bonne manière de jouer à la guerre (?)
Une alternative aux câlins
Déclarations enflammées
Transformer une situation tendue en jeu
Les enfants qui tentent de s'humilier les uns les autres
De l'importance de l'éducation émotionnelle des garçons
Entraînement à la maîtrise de ses impulsions
Les aînés face aux plus faibles
Ne nous opposons pas trop vite
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